📓 Peut-on juger un livre à sa couverture ? #18
À une période où l’on a seulement envie de rester sous sa couette, parlons paratexte éditorial (ou première de couverture quoi !).
Bienvenue dans cette 18ème édition de Aux livres, etc. 📚
Pour celles et ceux qui viennent de nous rejoindre, on aborde toutes les deux semaines une thématique liée à la littérature et à la lecture.
Ici, on se penche davantage sur l’acte de lire que sur celui d’écrire, en se situant du côté des lecteurs et lectrices.
Mon objectif : redonner une place de choix aux livres dans nos vies, arpenter le monde littéraire sans se prendre au sérieux, ouvrir le dialogue et échanger des recommandations.
Retrouve la genèse du projet par ici pour en savoir plus.
Aujourd’hui, on sort la tête de la couette pour se plonger dans les couvertures. 📔
Un sujet douillet et qui interpelle : l’expression consacrée nous somme de ne pas juger un livre à sa couverture, et pourtant, elle est faite pour ça non ?
Explorons légèrement ce sujet avant de passer à un gros thème d’ici deux semaines… Celui des prix littéraires !
Les grands prix vont être remis d’ici quelques jours, le suspens est à son comble (à Saint-Germain-des-Prés) et l’on retient son souffle au café de Flore (sauf les 99 % de touristes qui s’en foutent royalement en sirotant leur verre de Chablis à 9 € — true story).
C’est un des grands sujets du monde de l’édition (pas le Chablis, encore que) avec des enjeux de vente énormes, ne serait-ce qu’avec le Goncourt. Bien souvent, on aime ou on déteste le ou la primé·e de l’année, dans les deux cas, ça mérite bien une édition spéciale.
D’ailleurs, on se lance dans des pronostics ? Qui est votre chouchou parmi les 4 lauréats en lice ?
(*Eric Reinhardt donc).
Je joue le jeu (auquel je suis très mauvaise) en misant sur Humus (que je commence à peine, avis totalement infondé, j’avoue : je n’en ai lu aucun — ne te désabonne pas tout de suite, promis j’ai lu plein d’autres bons titres 😉).
Avant le verdict, on file sous la couette couverture !
As-tu déjà mis les pieds dans une librairie anglo-saxonne ?
Des couleurs partout, des illustrations, des livres qui nous appellent à tous les coins d’étagère…
Pourquoi n’a-t-on droit qu’à des couvertures beiges aux liserés discrets et à la typographie épurée ?
Où est passé le fun ? La littérature en France est-elle trop sérieuse pour être ornementée ?
La couverture n’est pas un sujet anodin quand on parle de l’objet littéraire car ce sont bien des livres qu’on lit et non pas des textes. Ils sont incarnés dans des supports dont la première de couverture est un atour d’importance. Elle constitue le livre, l’inscrit dans un champ de perception littéraire et offre des attentes aux lecteurs.
Imagine recevoir un texte en PDF non mis en forme et un bel ouvrage de la pléiade. Le contenu est le même, mais ton approche, la valeur que tu accordes au récit, sera nécessairement impactée.
Imagine aussi découvrir un exemplaire de ce roman de Francis Scott Fitzgerald, si tu n’en as jamais entendu parler.
Les perceptions ne sont pas les mêmes, non ?
L’exercice avec Modiano est rigolo aussi.
Marjorie (des pages en cuisine) avait dédié une news à ce thème pour les livres de cuisine et, sur un autre registre, c’est tout aussi parlant.
En France, la sobriété de la couverture est le signe d’une littérature exigeante.
Dès 1830 et les débuts de la première de couv’, les plus criardes sont liées aux publications les plus populaires et commerciales.
En sommes-nous vraiment revenus ?
Si je suis honnête, je les aime moi ces couvertures épurées.
J’ai été affolée par les nouveaux bandeaux flashy (et illisibles) de Grasset et le vert fade de Fayard en septembre.
Mais, on les confond tous ces livres sur les étals non ?
Les seuls que l’on peut identifier rapidement en un coup d’œil en librairie sont Perspective(s) et celui de Han Kang ?
Le pari réussi par les éditeurs ici est de s’inscrire en tant que collection. La patte de la maison d’édition est indéniable, on repère bien l’appartenance à un corpus donné.
C’est d’ailleurs dans ce but que la couverture s’est développée au XIXème siècle, avec l’invention des collections. Elle joue alors un rôle de label.
Faisons un petit jeu. Parmi ces trois titres, lequel est une romance Harlequin, un polar et un roman de littérature « Blanche » ?
Le règne de la nuit // Léa, prisonnière du désert // En garde
Je serais bien en peine (et encore je n’ai pas été trop dure).
(Résultat à la fin de cette rubrique, patience et longueur de scroll).
La couverture très normée comme on la connait en France joue un rôle assez évident. Elle permet d’instaurer une marque et de faire comprendre le genre d’appartenance.
Des codes existent selon les genres et ils sont bien connus : des polars plutôt noirs, la littérature blanche et ses couvertures épurées, la romance très illustrée, avec des hommes et femmes lascifs ou romantiques.
Ce premier contact visuel permet à l’ouvrage, à l’éditeur, d’être lisible et au lecteur de s’orienter dans les rayons des librairies et d’axer son choix vers des genres qui l’intéressent.
En littérature de genre notamment, on ne cherche pas nécessairement à séduire de nouveaux lecteurs ou lectrices mais à se conformer à 100 % aux codes existants pour s’adresser aux amateurs et répondre à leurs attentes.
Faire preuve d’originalité perdrait le lecteur. Quand des éditeurs ont testé des versions plus sobres pour des romances ou polars, la réception par le public a été moins bonne qu’avec les codes classiques de ces genres.
Alors une couverture efficace doit seulement suivre les normes ? 🧐
Au sein même des catégories émergent des enjeux plus marketing, pour se démarquer dans une offre de plus en plus pléthorique, permettre l’identification et séduire.
Car après tout, si un livre doit être identifiable, il doit aussi être singulier et donner envie.
Surtout quand on sait que la couverture peut être un déclencheur d’achat pour 56 % des lecteurs. Et le chiffre grimpe chez les plus jeunes : jusqu’à 70 % des 15-34 ans (étude CNL, baromètre des Français et la lecture 2023).
La couverture joue aussi un rôle d’apprêt, d’emballage, de séduction. Bref un rôle marketing.
Elle a la lourde tâche d’attiser la curiosité, de donner envie de tourner le livre pour parcourir la quatrième de couverture (autre enjeu de taille dans l’acte de l’achat).
Ça nous est arrivé à tous et toutes de nous jeter sur un livre juste parce que la couverture nous parlait. Et souvent, ça fonctionne non ? (Dis-moi en commentaire, ça m’intéresse, aucun exemple personnel ne me revient en tête.)
Les stratégies éditoriales mises en œuvre ne laissent rien au hasard et sont le fruit, comme on l’a vu en intro, des héritages culturels.
En France, pour être honnête, on constate tout de même une certaine évolution, notamment via les bandeaux qui ornent davantage les livres, reprenant souvent la couverture d’origine pour les romans étrangers. Et les poches sont, eux, systématiquement illustrés (la dimension marketing y étant encore plus importante ?).
Et dans les pays anglo-saxons, la sobriété gagne du terrain.
Je vous renvoie à la rubrique 2. de Tout ce qu’on entasse dans la toujours passionnante newsletter sur Absolument tout de Martin.
Le vent pourrait donc aussi tourner en France à l’avenir ? Si le « style NRF » semble avoir encore de beaux jours devant lui, les lignes bougent.
Pour nos habits comme ceux des livres, la mode évolue.
Et entre les livres que l’on peut acheter au kilomètre sur la base de critères esthétiques (incroyable mais vrai) et l’argument marketing élitiste-intello-sexy, s’il y a bien un objet à la mode en ce moment, c’est le livre ! 🤓
Réjouissons-nous, mais regardons plus loin que le bout des couvertures !
Guettons les jolis ouvrages illustrés en librairie et continuons à juger les livres à leur couverture car après tout, elles sont faites pour ça !
Mais en ayant conscience de nos biais culturels, ouvrons parfois nos horizons en se penchant sur des livres qui pourraient sortir de nos critères.
Pour aller plus loin
📖 À lire : un peu d’histoire et de contexte avec cet article de Stéphanie Moors.
👂 À écouter : les ateliers du livre de la BNF sur le sujet, Habiller le livre : phénomène de mode ou enjeu éditorial ?
Au fait, quelles sont les bonnes réponses au jeu « trouve mon genre » ?
En garde est un roman de littérature française à paraitre chez Flammarion.
Léa, prisonnière du désert est le polar aux éditions Cairn.
Le règne de la nuit est donc bien une saga Harlequin
Tu avais tout bon ?
Coup d’œil rapide sur mes lectures d’octobre
Avis succinct, je te laisse cliquer pour le pitch détaillé et prolongeons l’échange si l’un de ces titres t’intéresse (ou t’as plu ou déplu).
💀 Dernier rendez-vous avec la lady, Mateo Garcia Elizondo.
Lu sur les conseils des libraires de L’Instant, je ne suis pas déçue par cet OVNI aux allures de conte fantastique. On suit les derniers jours d’un homme hanté par la drogue et d’étranges fantômes dans un mystérieux village. Il est question de la vanité de l’existence, de l’illusion de la vie, de ce à quoi sert ce passage entre la naissance et la mort. Des thèmes qui semblent glauques mais le roman transporte et fascine sans abattre.
Les liens de parenté avec Gabriel Garcia Marquez ne sont pas à remettre en doute.
« Tu commences en quelque sorte à exister dans des limbes. C’est ce qu’est ce village. C’est aussi ce qu’est l’héroïne. Tu es à mi-chemin entre le monde des vivants et celui des morts et les uns comme les autres t’évitent. »
👯♀️ La danseuse, de Patrick Modiano.
Encore des fantômes, encore Paris couleur sépia, encore la poursuite de souvenirs fuyants. « L’éternel retour du même ». Et moi je l’aime. Je serai bien incapable de critiquer mon auteur chouchou. Il me semble que si on apprécie Modiano, on sera sensible au charme de ce dernier roman.
« Les mêmes situations, les mêmes gestes se répètent à travers le temps. Et ils ne sont pas perdus, mais inscrits pour l’éternité sur les trottoirs, les murs et les halls de gare de cette ville. L’éternel retour du même. »
🥘 Un simple diner, Cécile Tlili.
Un bon moment avec ce roman très théâtral. Les personnages évoluent dans ce huis clos comme pris au piège de leur propre vie. Rapidement, on prend plaisir à voir les deux femmes changer, muer au fil de la soirée.
« C’est amusant comme, d’un jour à l’autre, on en arrive à ne plus rien se dire. À ne plus rien comprendre. À moins qu’on n’ait jamais rien compris. »
🪟 Panorama, Lilia Hassaine.
On a beaucoup entendu parler de ce roman depuis la rentrée littéraire, je risquais d’être déçue. Et non, j’ai été agréablement surprise et emportée par l’intrigue. Cette enquête policière, sur fond de dystopie glaçante, agit comme un page turner oppressant car force est de constater qu’on s’y retrouve un peu dans cette société de la transparence où tout le monde accepte d’être observé tout le temps, sous couvert d’une apparente sécurité. Ça fonctionne très bien.
« La Transparence a produit les mêmes effets dans toutes les villes. Les communautés des réseaux sociaux ont pris corps. Nos amis virtuels, ceux qui nous ressemblent et partagent nos opinions, sont devenus nos voisins. Le vivre-ensemble a cédé la place au vivre-ensemble-entre-soi. »
🧮 Tumeur ou tutu, Léna Ghar.
À nouveau sur les conseils des libraires de l’Instant (et parce qu’il est en lice pour le prix Pantagruel à Marseille), à nouveau séduite. La langue est savamment travaillée et étudiée, avec de belles trouvailles. Elle produit un effet cinglant et électrique. Ce récit d’une fille malheureuse, marquée par la relation dysfonctionnelle avec sa mère, prend à la gorge, en en disant pourtant peu, sans lâcher les mots. Les esprits matheux aimeront d’autant plus les réflexions très arithmétiques.
« En maths, il n’y a pas de heurts, pas de gâchis, pas de portes qui claquent, pas de boulets de canon dans la gueule, pas de méfiance, pas d’inquiétude, pas de reflux, pas de provocation. À quelqu’un qui ne parvient pas à dérouler sa démonstration, on ne dit pas : qu’est-ce que tu t’obstines à saccager ?, ni Tu te trompes de colère, ni Laisse-moi t’aimer paisiblement. On dit : tu as mal posé l’équation. »
🍆 Dès que sa bouche fut pleine, Juliette Oury.
Tenir 250 pages avec un récit d’inversion entre sexe et nourriture, le pari était risqué. Il est réussi. L’analogie fonctionne très bien et on rentre facilement dans ce monde où on a des rapports sexuels 4 fois par jour, pour la santé, et où on ne mange qu’avec l’être aimé, dans l’intimité, des actes qu’il faut taire et cacher.
C’était un très bon moment de lecture, et ce thème s’est comme insidieusement glissé partout par la suite. Chez Marjorie, des pages en cuisine, quand elle parle de couple et cuisine et chez Ariane dans le fil d’Ariane, au sujet de l’alimentation en société.
🐕 Le livre de la rentrée, Luc Chomarat.
Une lecture qui restera plus anecdotique bien que la dimension meta du roman m’a beaucoup amusée. Quand un éditeur arrive chez un auteur qui s’appelle Luc et lui parle du « livre de la rentrée », on ne sait pas bien s’il s’agit d’autofiction déguisée mais c’est bien là que réside tout le jeu du roman. On en arrive à s’interroger sur la place des personnages de fiction. S’ils sont dans un livre, ce ne sont plus des hommes, mais des personnages seulement.
Un bémol tout de même pour un livre qui soutient qu’on ne peut plus rien dire en le disant quand même… des allures de déjà entendu (mais le meta roman est prenant et très drôle).
Cela me permet de conclure sur un dialogue savoureux, qui pourrait bien résumer cette édition (et celle sur la rentrée littéraire).
— La difficulté, reprit Delafeuille, c’est d’échapper au matraquage médiatique. Pour les livres comme pour le reste. Aller chercher dans les rayons du fond, en prendre un au hasard. Mais personne ne fait ça.
— Oui, c’est vrai.
— Déjà, vous avez des rayons de prédilection. Le polar, la science-fiction. Le développement personnel. Ou la littérature, bien sûr. Mais vous n’entrez pas dans une librairie, en fait. Vous entrez dans votre rayon habituel.
— C’est très juste, dit Nicole. D’ailleurs, les gens qui achètent le livre de la rentrée, c’est surtout pour des raisons sociales, non? C’est un peu comme Roland-Garros. C’est ce qu’on fait en septembre-octobre. Pas sûr qu’ils le lisent, par contre.
— Puisqu’après, à Noël, tu offres le Goncourt, dit Muriel en riant.
On ne va pas te reprocher d’avoir offert le Goncourt.
Tout ça n’a pas grand-chose à voir avec la littérature, conclut Delafeuille.
Si tu as envie de suivre mes lectures au jour le jour, rendez-vous sur Instagram, en Story.
C’est tout pour aujourd’hui ! 📘
Rendez-vous dans deux semaines avec le tant attendu topo sur les prix littéraires.
D’ici là, lisez bien (caché·e sous la couette). 👋
Au risque de me répéter je me régale à chaque fois quand je découvre ta nouvelle newsletter !En ce qui me concerne j’ai une préférence pour les couvertures colorées ce qui me permet de découvrir des auteurs que je ne connaissais pas comme par exemple Jenny Colgan il y quelques années.Voilà… Merci pour ces bons moments de partage 🙏💙
Super intéressant, un grand merci pour cette édition :)