Scrollons moins pour lire plus
Autrement dit : referme cette newsletter, pose ton portable, éteins ton ordinateur et retourne lire.
Bienvenue dans cette 22ème édition de Aux livres, etc. 📚
Pour celles et ceux qui viennent de nous rejoindre, on aborde toutes les deux semaines une thématique liée à la littérature et à la lecture.
Ici, on se penche davantage sur l’acte de lire que sur celui d’écrire, en se situant du côté des lecteurs et lectrices.
Mon objectif : redonner une place de choix aux livres dans nos vies, arpenter le monde littéraire sans se prendre au sérieux, ouvrir le dialogue et échanger des recommandations.
Retrouve la genèse du projet par ici pour en savoir plus.
Bonne année !
Je vous souhaite de doux moments, de l’exaltation, de belles découvertes et de la paix !
Rien que ne puisse vous offrir un livre donc 😌
Bienvenue à toutes celles et ceux qui se sont abonnés depuis la rentrée.
Ça sent les résolutions pour lire davantage cette année ?
Il n’est plus de bon ton de parler de résolutions, ça fait ringard, on sait qu’on ne les tiendra pas, on s’en amuse. Et pourtant, s’il est un moment où nous sommes pétris de bonnes volontés c’est bien les mois de rentrée, janvier et septembre.
La preuve, le tsunami de bilans et rétrospectives qui assaillent les réseaux à ce moment-là. Des success-stories LinkedIn aux tops Spotify partagés en Story, on n’y échappe pas.
D’ailleurs on aura vu quelques voix s’élever pour fustiger les bilans « X livres lus cette année ». Est-ce vraiment le nombre qui compte ?
Cet article de The Atlantic (merci Marius pour la découverte) tombe à pic pour résumer l’affaire : lire beaucoup ne veut pas nécessairement dire lire un grand nombre de livres.
Un livre de 200 pages de Walter Benjamin dont le sens de chaque phrase est à remâcher ne pèsera pas le même poids dans un « bilan » que le dernier Raphaëlle Giordano ; sans jugement de valeur, il y a une différence d’exigence littéraire qui est manifeste et assumée, on ne parle tout simplement pas de la même chose.
On peut passer l’année sur Ulysse de James Joyce, l’expérience de lecture n’aura pas été faiblarde pour autant.
Cela fait mettre en perspective le poids des bilans et les influenceurs qui affichent déjà 25 livres lus sur le profil Instagram au 11 janvier.
Alors faut-il tout bonnement jeter tous ces bilans au feu ?
Ne sont-ils que désuets et arrogants ? De purs produits de notre ère de la comptabilisation de soi et de l’entreprise du je ?
Et si l’on y voyait plutôt une manière de faire le point pour définir ce qui a réellement de l’importance pour soi ? Et si l’on suspendait nos jugements pour apprécier ce rare moment de l’année où l’on arrête de foncer pour prendre du recul ?
Car si l’objectif de lire 100 livres cette année est discutable, celui d’accorder plus de place à la lecture sera davantage porteur de sens.
Mes résolutions livresques se cachent d’ailleurs par ici.
Il sera question de ça aujourd’hui. Prendre son temps, faire une pause, déconnecter, déceler ce qui a de l’importance pour soi.
Et lire encore plus bien sûr. 🤓
Et, en fin de news, comme toujours quelques recommandations de bonnes pages.
Comment accorder plus de place à la lecture dans sa vie ?
C’est la grande question sur laquelle je souhaitais me pencher en lançant cette newsletter il y a un an.
Pour cela, j’ai commencé à décortiquer nos manières de lire en traitant différents genres et mouvements autour de la lecture et en partageant chaque fois des recos qui t’auront, je l’espère, donné envie de lire.
Mais il est temps de s’attaquer au vrai problème non ?
Si on doit être honnête, voici à quoi ressemblent nos vies aujourd’hui.
C’est glaçant et pourtant si réaliste.
Scrollons moins pour lire plus !
Il est là notre temps, entre nos mains, il tient dans un rectangle noir à l’écran rétroéclairé. On le connait bien le gouffre, qu’il s’appelle TikTok, Instagram ou YouTube.
Ce sont les vainqueurs incontestables de la guerre de l’attention. Ils vous captivent à grand coup de vidéos chocs, sensationnalisme, algorithmes de plus en plus affinés.
Et franchement, la concurrence n’est-elle pas déloyale pour les livres ?
Le cercle vicieux du scroll est infernal. Trois raisons nous retiennent sur les réseaux, l’une des principales étant… la quantité de médias regardée. Plus on consomme des photos et vidéos en ligne, plus on a tendance à en consommer (source : HBR).
C’est bien beau de comprendre les mécanismes en jeu, mais comment faire pour reprendre le contrôle sur son utilisation du téléphone.
J’en ai discuté avec Julien de la brillante newsletter , spécialiste de l’impact des écrans sur nos vies pros et persos.
Grâce à lui, j’ai appris que les Français passent en moyenne 60 % de leur temps libre devant un écran (dans cette newsletter habillement intitulée à la recherche du temps perdu).
Comment reprendre le contrôle ?
Il évoque deux pistes intéressantes :
1. Mettre de la friction : pour réduire le plaisir provoqué par son téléphone, rendons son utilisation moins agréable. On règle l’écran en noir, on définit des timers… et on le rend moins attractif en faisant le tri dans les notifications et les applications addictives.
2. Instaurer un couvre-feu digital : le matin comme le soir, on arrête les écrans à une heure dite (pour lire par exemple, c’est d’ailleurs comme ça que Julien a repris une habitude quotidienne de lecture) et on ne dort pas dans la même pièce que son téléphone pour ne pas sauter dessus au réveil. Il aborde le sujet ici.
Surtout, Julien recommande de prêter plus d’attention… à son attention et d’utiliser ses appareils digitaux avec une intention claire.
Depuis que je suis sa newsletter, je m’énerve fréquemment contre moi-même quand je constate que je suis tombée dans le piège d’Instagram. Je m’y connecte pour le boulot et je finis par regarder des vidéos de recettes de pommes de terre au parmesan et à l’ail (que je ne ferai jamais et que j’ai vues 1000 fois).
La prise de conscience permet dans le temps de réduire ce gouffre de temps. On en vient à mieux détecter les pièges dans lesquels on tombe.
L’autre étape consiste à gagner en lucidité quant aux sentiments que nous apportent nos pratiques. Qui n’a jamais quitté Instagram totalement déprimé par la vie parfaite observée sur le réseau ? Qui n’a jamais culpabilisé après avoir scrollé 1h sur TikTok ?
Être conscient de ces mécanismes et de leurs impacts est nécessaire pour aller vers une utilisation plus maitrisée des écrans.
Tu as envie de creuser la question et de reprendre le contrôle sur ton temps hors ligne ? Je t’invite vraiment à suivre les ressources passionnantes de Julien sur le côté en t’abonnant à Screenbreak par là.
Redevenir maitre de ton temps libre.
Voilà tout l’enjeu que m’évoque la statistique partagée par Julien plus haut. Les écrans méritent-ils vraiment 60 % de notre temps libre ?
Si tu choisis de consacrer ton temps de loisirs aux vidéos de chat sur Instagram, libre à toi bien sûr. Mais si ton objectif est de lire davantage (ou te mettre au sport, au crochet ou à la céramique), il va falloir aligner tes envies et tes pratiques.
Et si tu prenais simplement rendez-vous avec toi-même ou avec la lecture ?
Et pourquoi pas avec des auteurs et autrices même ?
Lors d’une rencontre à la librairie le Divan, Lauren Bastide (journaliste, podcastrice et autrice) évoquait la gestion de son temps entre toutes ses activités et partageait le fait qu’elle réserve des semaines de rien dans son agenda, qui lui permettait notamment de lire.
Alors certes, c’est un luxe, il faut pouvoir se libérer de toute obligation pendant une semaine mais sur des plages horaires moins longues, ce peut être une bonne manière de se réapproprier son temps.
Dans cette même veine, tu as peut-être été interpellé dans le métro ou Libé par une campagne brillante qui met habillement le doigt là-dessus. Perso, je l’ai repérée dans la newsletter Komando (absolument géniale, au passage je la recommande à toutes celles et ceux qui s’intéressent au marketing et à la com).
Le concept : la mystérieuse « Fondation du rien » vous propose une série d’activités (conférence, yoga, initiation à la cuisine vietnamienne…). Sauf que le jour J, vous recevez un mail d’annulation. Et hop, voilà une ou deux heures gagnées. La fondation invite alors à profiter (et non mettre à profit) ce temps retrouvé.
Abuses-en à ton tour par ici, l’expérience est marrante et pas dénuée d’intérêt.
Des trucs et astuces, il en existerait encore un paquet…
Tu en as même sans doute à me partager que tu as mis en place et qui fonctionnent à merveille. Mais l’essentiel reste de prendre conscience de son usage du temps pour ne pas que la majeure partie de la journée parte en (écran de) fumée. 💨
Alors au final, comment font les grands lecteurs et lectrices pour lire ?
Ils lisent ! 🙃
Ils en font une priorité.
Dans le fond si l’on doit être honnête, il n’y a pas de formule magique. 🪄 Cela tient à une habitude, une envie, une intention profonde.
Lire s’insère alors assez naturellement dans la vie quotidienne.
Rien ne vaut l’intention (et donc la prise de recul, on y revient).
Mais bien sûr, pour y arriver et retrouver le chemin de la lecture, les astuces sont heureusement utiles pour recréer l’habitude et se sevrer de certaines addictions, parfois néfastes.
Et si ce ne sont pas les écrans le problème pour toi mais que tu traverses une petite panne de lecture, je te renvoie à cette édition où le sujet avait été abordé.
Mon envie à ce stade : que tu éteignes l’écran sur lequel tu me lis pour aller attraper le livre le plus proche de toi.
Mais calmons-nous, comme toujours, quelques recommandations avant de nous quitter.
Le livre recommandé par Julien de Screenbreak, celui qui lui a ouvert les yeux
🐟 La civilisation du poisson rouge, petit traité sur le marché de l’attention, Bruno Patino
Cet ouvrage a bouleversé ma façon de voir les choses. Sa lecture m’a confronté à une réalité qui, bien que stupéfiante, ne m’a pas vraiment surpris : notre capacité d’attention est en chute libre depuis l’apparition du smartphone.
Partout où je regardais, que ce soit dans le contexte professionnel au bureau, dans la rue, au restaurant, je voyais des symptômes évidents de cette épidémie d’hyperconnexion. Les gens sont physiquement présents mais souvent mentalement ailleurs, captifs de leurs écrans, se perdant dans une marée incessante de notifications et d’informations. Sur le plan professionnel, le mot d’ordre est « always on ». On ne déconnecte jamais vraiment.
J’ai réalisé que cette tendance à la surconsommation d’écrans n’était pas seulement un problème individuel (évidemment, j’étais un des premiers concernés), mais un problème sociétal qui touchait non seulement la productivité et la concentration au travail, mais aussi le bien-être personnel, et les relations humaines.
L’essai qui m’a fait dire « mais oui ! » à chaque page
🍽 Mangeuses, histoire de celles qui dévorent, savourent ou se privent à l’excès. Lauren Malka
Tout est dit. La journaliste Lauren Malka explore la gourmandise féminine et les injonctions qui pèsent depuis la nuit des temps sur les corps et l’appétit des femmes. Le propos est édifiant, stupéfiant et extrêmement bien documenté.
Lauren Malka m’a confié avoir passé deux ans sur l’écriture et la recherche autour de cet ouvrage et ça se ressent. Les notes de bas de page nous réserveraient à leur tour de riches lectures et ouvrent beaucoup de portes.
Ce texte est à mon sens vital, capital, nécessaire. Comme l’alimentation l’est à la vie. Et pourtant, cela n’est pas si simple pour les femmes. Cet ouvrage lève le voile sur un problème et des rouages trop souvent occultés alors qu’ils perpétuent des schémas toxiques et oppressifs.
Ça plaira bien évidemment aux gourmandes (✋), aux complexées, aux saoulées des injonctions et aux curieuses. Mais cette lecture devrait (comme tout texte féministe) aussi trouver un chemin dans le cœur (et le cerveau surtout) des hommes qui se veulent alliés (et dans nos rêves les plus fous, aussi les plus sceptiques !).
Vital vous dis-je.
« C’est la création culturelle, dès la naissance, dès le premier jour, de ce que j’appelle “deux races d’humains”, la race des hommes à qui l’on dit : vos pulsions, vos désirs sont légitimes et peuvent être satisfaits immédiatement et celle des femmes à qui on dit : la frustration sera votre lot. »
Un roman simple et qui a du mordant ! La bonne surprise de ma fin d’année.
👩🍳 Sauvage, Julia Kerninon
Je ne pensais pas parler de ce livre. J’adore le style de Julia Kerninon, j’aurais pu être emballée a priori mais je ne me suis pas jetée sur ce roman-ci. Je le réservais pour la fin d’année, une lecture tranquille pendant les fêtes. Il me semblait trop simple, un peu déjà vu avec son intrigue autour d’une femme libre qui cherche à s’émanciper des hommes de sa vie.
Et pourtant, j’ai été saisie. L’univers de la cuisine apporte beaucoup de saveurs (🤪) à l’histoire, notamment les déclarations amoureuses pétries de métaphores culinaires.
Et surtout, la plume de Julia Kerninon reste vibrante et… sauvage !
Ça plaira aux femmes qui se questionnent sur leur place, le rôle de mère et leur besoin inextinguible de liberté. Et à tous les amateurs de littérature bien rythmée.
« Je crois que je voudrais te faire l’amour comme sur mon plan de travail je verse la farine, je creuse un puits, je casse un jaune d’œuf au milieu et je remue avec ma main nue jusqu’à ce que ça ne soit plus qu’une seule et même chose, je veux te faire ce que le jaune d’œuf fait à la farine, ce que la farine fait au jaune d’œuf, je veux te faire le poivre dur sur la langue, je veux te faire le crépitement du lard dans la poêle, les éclaboussures »
(P 110 pour lire la suite de ce monologue sexy-foody).
C’est tout, maintenant file lire ! 😉
Que ce soit une bonne résolution, une intention, une lame de fond…
Bonnes lectures et à bientôt avec de nouvelles explorations littéraires. 👋
Merci pour cette news letter et ses recos, je mène cette bataille contre mon écran , celui de mes grands ados et de mes eleves,,qui n’ont pas vraiment connu autre chose. La capacité d’attention est en chute libre et cela a profondément modifié ma facon’d’enseigner. Je me sens si souvent démunie et impuissante dans cette lutte. Merci d’en parler. Sur ce , je pose mon téléphone et je vais finir la ferme des animaux.
Le meilleur conseil et la meilleure astuce ever : pour lire plus, il faut faire de la lecture une priorité. Et ça fonctionne exactement pareil pour l'écriture ! ✍️