📚 Faut-il (re)lire les classiques ? | #12
Discussion autour des grands classiques de la littérature avec Marius, de Blockbuster Littérature.
Il fait trop chaud pour tourner autour du pot, plongeons directement dans le vif du sujet 🤿
Comme tu as pu le constater dans la dernière édition, je suis un peu fâchée contre la Grande Librairie (et je ne suis pas la seule). Une émission dans laquelle on dézingue « les classiques » sans nuance, sans réel fondement, par snobisme semble-t-il parfois, ça m’a énervée ! 😡 (Pas tout rouge, mais presque.)
Et pourtant, des classiques, je n’en lis pas tellement, un ou deux par an. Trop happée par les auteur·ices contemporain·es, les rentrées littéraires, les nouveautés qui m’appellent en permanence !
Mais quand j’ouvre un roman classique, je suis subjuguée par le style, je retrouve une langue à la fois douce, poétique et puissante, je plonge dans une autre époque qui éclaire souvent la nôtre ou reste hyper d’actualité.
Mais au fait, c’est quoi un classique ?
Un texte si bien écrit qu’il traverse les âges ? Un roman si poignant qu’il en devient intemporel ?
Probablement un peu des deux…
Si Paul Valery met en avant la forme, un style assez puissant pour traverser le temps (à propos de Hugo), Italio Calvino lui privilégie le thème comme garant de la pérennité.
Dans La Machine Littérature, il présente le classique comme un texte formateur et si riche qu’il permet de multiples relectures.
« Un classique est un livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire. »
Alors continuons à prêter l’oreille les yeux aux classiques ?
J’ai eu le plaisir d’en discuter avec Marius, un de mes créateurs de contenus littéraires préférés : Blockbuster littérature.
Sur sa chaîne YouTube, il décortique la vie de grands auteurs (et bientôt autrices, abonne-toi pour ne pas rater l’épisode sur Duras à venir) comme porte d’entrée et clé de lecture de leurs œuvres.
Gary, Orwell, Hugo (ce dernier épisode est grandiose, à l’image de l’auteur, va vite le voir et reviens nous lire).
Ensemble, on a parlé de la force des classiques et Marius n’a pas été avare en recommandations. Attention, d’ici 5 minutes ta pile à lire aura passablement augmenté.
Après avoir bingé ses vidéos dédiées à des monstres sacrés de la littérature, j'ai voulu savoir ce qu'il en était de son rapport aux classiques, la place qu'ils occupaient dans ses lectures et discuter tout simplement de son approche de la littérature.
Julia — Merci Marius de m’accorder ce temps de discussion et d’échange autour de la littérature et des classiques. Toi c’est principalement ce que tu lis ?
Marius — Au quotidien je lis plutôt des auteurs contemporains et de la non-fiction, en lien avec mon métier de journaliste. J’aime les livres qui contiennent une part d’enquête.
Dernièrement, le Mage du Kremlin m’a intéressé et a fait écho à Limonov d’Emmanuel Carrère que j’avais beaucoup apprécié.
Il y a aussi un auteur que j’adore, Javier Cercas, qui écrit des récits réels qui interrogent notre histoire commune et éclairent nos motivations. Les Soldats de Salamine et L’Imposteur sont par exemple deux romans qui m’ont passionné. L’auteur s’est plongé dans l’Histoire, a interrogé des témoins et a réellement mené l’enquête pour y questionner l’héroïsme (Les Soldats de Salamine) et les choix de vie (L’Imposteur).
Julia — Super intéressant. On voit en effet l’œil du journaliste sensible à l’investigation. Est-ce que tu lis depuis tout petit ?
Marius — Pas vraiment, je dirais que je m’y suis mis à la fin du lycée. J'ai eu la chance d'avoir une bibliothèque familiale bien remplie, mon père est un lecteur et m'a recommandé tout un tas de bouquins. À ce moment-là, je n’accordais pas beaucoup de place à la littérature mais avec le temps je me suis rendu compte que j’en étais un des seuls défenseurs au sein de mes groupes d’amis. Je m’étonnais qu’ils n’aient pas ce goût de lire. Mais dans le fond, je peux comprendre : pour eux les livres c’était les lectures obligatoires de l’école auxquelles on ne pige rien.
Julia — On touche à quelque chose, clairement. Souvent les livres qu’on nous impose à l’école, les grands classiques, sont compliqués, difficiles à appréhender pour des adolescents. Est-ce qu’on peut vraiment saisir Flaubert ou Balzac à ce moment-là ? Est-ce qu’on y est prêt ?
Marius — Apparemment pas, en effet. Moi aussi j’ai rejeté les romans qu’on m’a imposés. Ça me semble normal, si tu lis ces livres sans connaissance sur le XIXe, tu passes complètement à côté. Il n’y a que Dumas qui peut-être est à part ! Le Comte de Monte Cristo, c’est la fusion géniale entre histoire et aventure. Il nous embarque dans une intrigue qui surpasse la grande histoire. Ce serait un bon classique pour commencer à s’intéresser à cette littérature-là.
Julia — Je te rejoins complètement, sans contexte, on a du mal à entrer dans les œuvres du XVIII ou XIXème. Elles nous échappent. Comment t’es-tu mis à lire les classiques, toi ?
Marius — C’est venu plus tard, à travers des auteurs plus modernes qui m’y ont amené. J’ai souvent besoin d’un prescripteur. Par exemple, Kessel, que j’adore, parle avec admiration de Dostoïevski donc je m’y suis intéressé aussi. En fouillant la vie des romanciers que j’aime, ça me donne envie de plonger dans leurs œuvres et de me pencher sur leurs inspirations, ce qu’ils recommandent.
Julia — Intéressant comme manière de choisir ses prochaines lectures.
Marius — J’ai vraiment envie de décomplexer et de promouvoir ce truc-là. On part tous avec une culture limitée mais elle se fait au fur et à mesure de nos découvertes, on tisse des liens, on les suit. Et c’est super enthousiasmant de savoir qu’il me reste encore plein d’auteurs et d’autrices à découvrir. J’ai un tas de livres qui patientent dans ma bibliothèque parce que ce n’est pas encore le moment pour moi. Je sais qu’un jour j’y viendrai et ça sera un immense plaisir quand ça arrivera. Il y a un bon moment pour ouvrir un livre. On s’intéresse à une période, à un sujet, et c’est là que le livre pourra nous toucher.
Julia — Quelles sont les découvertes qui t’ont le plus bouleversé ?
Marius — Kessel, vraiment, ça reste l'un, si ce n'est, mon auteur préféré. C’est L’Équipage, un de ses premiers romans, écrit à 25 ans au lendemain de la Première Guerre, qui m’a amené à m’intéresser à son œuvre. Il y a tout Kessel dans ce livre déjà, l’aventure, le tragique, l’épique.
Romain Gary aussi m’a beaucoup marqué et continue de m’impressionner. Il touche à plein de styles, joue avec les identités. La Promesse de l’Aube m’a fasciné et il reste splendide à chaque relecture. Il y a tellement de délicatesse et d’autodérision, ça se lit très facilement, c’est inclassable ! Il fait partie des auteurs qui traversent le temps.
Julia — J’ai beaucoup aimé ta vidéo sur Gary justement, on sent qu’il te touche particulièrement (et je comprends). Est-ce lui qui t’a donné envie de lancer ta chaîne ?
Marius — Avec Blockbuster Littérature, je m’intéresse au contexte, à la vie des auteurs, qui a plus d’influence qu’on ne pense sur leur œuvre. Gary en est un parfait exemple en effet. Zweig aussi. Avec le Monde d’hier, il incarne bien ce que je fais. Savoir que l’auteur se suicide quelques jours après avoir remis ce manuscrit à son éditeur renforce la force et le tragique du livre
« La vie de certains auteurs est parfois aussi importante que leurs œuvres ; ce qu’ils ont écrit est parfois directement lié à ce qu’ils ont vécu »
Il faut aussi essayer de se faire une idée de leur siècle pour comprendre les auteurs. J’adore me pencher sur leur parcours, découvrir leur époque, les épreuves qu’ils ont rencontrées dans leur contexte historique. Les romanciers du XIXe traversent un siècle tellement épique et complet qu’ils ont des choses à raconter qui m’intéressent.
Mon but est vraiment de mettre la littérature à l’honneur et de montrer qu’elle est plus présente et vivante que ce qu’on ne croit. J’essaye d’avoir un rôle de prescripteur, d’être un relais pour donner envie d’ouvrir un livre et surtout de désacraliser la littérature.
Julia — Et les classiques sont des monstres sacrés qu’il est intéressant de rendre abordables en effet. Est-ce qu’on peut dire finalement qu’ils sont classiques parce qu’ils restent malgré tout assez modernes ? C’est ce que tu concluais à propos d’Hugo et des Misérables.
Marius — Hugo est assez paradoxal car tu sens qu’il y a une volonté de marquer les esprits, d’être dans le grandiose, de faire œuvre. Parfois ça lui joue des tours mais dès qu’il est dans l’action, il est hyper moderne. Toute la première partie avec Jean Valjean est épique et se dévore hyper vite. C’est parfois desservi par des passages, comme les 70 pages qui décrivent le couvent et font perdre en modernité. Ce qui me fascine surtout c’est sa capacité à dire des choses qui paraissent évidentes. C’est le master, tu as l’impression qu’il sait, qu’il a tout compris.
Balzac aussi m’a beaucoup marqué. J’ai commencé par lire Une ténébreuse affaire, qui est un complot royaliste et contre-révolutionnaire en pleine période napoléonienne. L’intrigue est digne d’une série télé ! Il maîtrise l’art des cliff-hangers, c’est du thriller, tu es complètement happé. Dans la façon de raconter l’histoire, c’est ultra moderne.
On lui attribue de longues descriptions mais je ne trouve pas, il mérite bien mieux que ce qu’on lui prête.
Julia — À nouveau peut-être la faute de l’école ? Ça donne envie en tout cas de relire des classiques effectivement. Je suis d’ailleurs plongée dans Zola en ce moment (l’Oeuvre) et je suis touchée par sa modernité aussi. Bon ce qui est plus difficile c’est l’image des femmes…
Marius — C’est pour ça aussi que le contexte est intéressant, il faut en être conscient, c’est une lecture de l’histoire qu’on ne doit pas occulter.
Julia — Notre époque aurait tendance à aller vers l’effacement de ces marqueurs, que ce soit les propos sexistes, racistes ou autres dans les romans des siècles passés. On pourrait aussi parler de cancel culture pour certains auteurs. Tu dis dans ta vidéo d’introduction que tu ne penses pas que « seule l’œuvre compte », pour toi on ne sépare donc pas l’auteur de son œuvre ?
Marius — Oui, même si peut-être que je ne vais pas me faire des amis. Je ne pense pas qu'il faille éviter à tout prix des auteurs, mais plutôt comprendre qui ils étaient et d'où ils parlaient.
Pour reprendre l’exemple de Zweig et son suicide, tu ne peux pas comprendre la dimension crépusculaire et pessimiste de son livre si tu ne connais pas la vie de l’auteur.
Ça ne veut pas dire qu’il faut fétichiser les écrivain·es non plus, mais je trouve ça pertinent d’avoir une vision sur leur histoire personnelle, qui influe forcément sur les mots qu’ils vont choisir.
Le contexte historique compte tout autant que la vie des écrivains, pour moi c’est indissociable et même s’il ne faut pas être incollable sur les auteurs qu’on lit, il est important d’avoir au moins une vague idée du contexte.
Julia — Contextualiser me semble aussi être une bonne clé pour pouvoir aborder les classiques. Merci pour cet échange passionnant, on se quitte avec quelques recos ?
Marius — J’aime beaucoup Marcel Aymé, on le cite peu mais c’est un auteur atypique avec des livres étonnants. Je pense à Uranus, qui se passe pendant l’épuration et raconte parfaitement bien cette époque-là. Il choisit ce sujet alors que l’on est à un moment, juste après la guerre, où on veut tourner la page, l’heure est plutôt à la liesse de la libération. Et c’est grandiose, il y a tout dans ce livre. Je suis épaté par sa capacité à être lucide et subtile sur cette époque.
J’aimerais aussi citer Pierre Lemaitre parmi les auteurs contemporains, il a un côté Dumas ! Il raconte la grande histoire avec la petite, je trouve ça formidable et je suis trop content que ça existe aujourd’hui !
Et surtout en conclusion, peu importe ce que nous lisons, l’important c’est de découvrir le goût de lire, de cultiver ce plaisir. Il n’y a pas de jugements à avoir sur les lectures des uns et des autres, que ce soit des classiques, des livres de genre, des mangas.
Ouvrons un livre, prenons du plaisir et arrêtons de sacraliser la littérature.
Franchement, il a tout dit non ?
N’hésite pas à réagir en réponse à ce mail ou en commentaire ci-dessous et surtout, surtout, file dévorer les vidéos de Marius pour continuer à explorer la littérature et la vie de ceux qui la font.
À bientôt avec une invitée sur un thème… gourmand 🍉
Julia
Un rapide sondage avant de se quitter
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Oui!!!! je suis tellement en phase avec toi Julia et Marius aussi. Relire les classiques est tellement délicieux et quel talent, quelle écriture merveilleuse. Etant fan du XIXème (même quand je lis d'horribles propos racistes ... ils sont le reflet d'une époque, de notre histoire, de notre évolution) je relis depuis septembre les Rougon-Macquart. J'ai encore une longue route à faire, je viens de terminer Nana! Et Balzac aussi que j'ai relu grâce au film les Illusions Perdues. Quelle actualité! Et je suis en train de lire la biographie de Balzac par Zweig et je rejoins complètement l'importance de se plonger dans la vie de ces auteurs. A propos aurais-tu une conseil de biographie pour Zola? Un grand grand merci pour tes newsletters!