🌹 Que faire de la poésie ? | #6
Que reste-t-il de la poésie ? Peut-elle survivre à un monde de scroll, de trolls et de 49.3 ? Va-t-elle disparaitre avec la fonte glaciaire ? Tant de questions auxquelles on tentera de répondre ici.
Entre les retraites, les grèves, les sacs poubelles qui s’amoncellent, c’est à peine si l’on a réalisé que le printemps était arrivé. 🌸
Et avec lui, les bourgeons, les feuilles vertes, les crépuscules rosés et la poésie.
Le printemps des poètes est une institution depuis 25 ans et revient cette année (pour encore quelques jours) sur le thème des frontières.
L’objectif de cet événement international : sensibiliser à la poésie.
Dans les écoles principalement mais également auprès des plus grands rêveurs avec quelques manifestations publiques. (Agenda ici pour en découvrir près de chez vous).
Et m’est avis que ce genre a bien besoin de ce coup de projecteur annuel.
En 2023, la poésie ne va plus de soi.
Entre approche expérimentale du langage et classicisme romantique, de « demain dès l’aube à l’heure où blanchit la campagne » à Francis Ponge, l’art poétique a de multiples visages et use avec virtuosité de son don de camouflage.
Quand j’ai interrogé mes abonné·es sur Instagram, certain·es me confient être intimidé·es, dépassé·es par ce genre qui leur semblent obscur ; d’autres citent des classiques comme ouvrage de référence (tout comme moi je dois bien l’avouer).
Baudelaire (en tête), Aragon, Rimbaud, Verlaine…
On en a été nourri à l’école, on pourrait encore en réciter certains par cœur et avec verve, un soir de grande forme. 💃
À en juger par le top vente 2019, les classiques restent des valeurs sures.
Mais lisons-nous vraiment de la poésie une fois que l’on a quitté les bancs de l’école ?
Où diable se cachent les poètes et poétesses contemporaines ?
Saurais-tu en citer un·e ?
Décryptage sur ce qu’il subsiste de la poésie aujourd’hui.
« La poésie a vraiment disparu de façon anormale. Il y’a des gens qui en produisent et en lisent mais massivement elle est absente et c’est un problème. Face à l’hégémonie du roman. Et c’est une anomalie. »
Aurélien Bellanger dans La grande librairie.
La poésie et le théâtre (genres comptabilisés ensemble à ce jour) représentent en effet 0,3 % des exemplaires vendus en 2013 (l’étude du Syndicat National de l’Édition reprise ici dans Challenge date un peu mais aucune évolution majeure à noter depuis).
Autant dire, quasiment rien.
Autant dire que la poésie est en train de vivre ses derniers souffles ? 😵
Mais avant de l’enterrer, revenons au basique ; dans le fond, c’est quoi la poésie ?
On se la joue définition du Larousse pour commencer : la poésie est l'art d'évoquer et de suggérer les sensations, les impressions, les émotions les plus vives par l'union intense des sons, des rythmes, des harmonies, en particulier par les vers.
L’étude du genre montre aussi que le poète transcende la beauté, travaille à en rendre compte par « une phrase qui égale en puissance la beauté des choses » (Christian Bobin).
« La poésie c’est s’émerveiller. C’est prêter attention à nouveau. Reconnecter avec sa sensibilité »
(Cyril Dion, dans l’émission de La grande librairie citée plus haut que je vous invite à écouter pour creuser le sujet — plutôt que la tombe de la poésie).
La poésie revêt également souvent son costume d’art engagé et subversif. Aujourd’hui encore, elle amène à mettre des gens en prison.
Beauté, émotions, sensations, rythmes, revendications, irrévérence… Tout ce qu'on aime, non ? La poésie est protéiforme et a bien plusieurs visages dans lesquels chacun·e pourrait trouver son bonheur (ou sa révolte, ou sa surprise, ou…).
Alors pourquoi ne lit-on pas tellement de poésie ? 🧐
Entre épreuve scolaire, souvenirs apeurés de récitations et apparence élitiste de cette forme très esthétique, la poésie a de quoi effrayer… Des Français qui, qui plus est, ne lisent plus tant que ça (81 % d’entre nous en 2021 vs 88 % en 2019 selon le baromètre du CNL) et tendent à préférer la littérature générale ou policière (selon la même étude).
Est-ce devenu un acte marginal, presque de résistance, que de se laisser porter par des vers audacieux ? ✊
Le genre apparait meurtri, comme le soulignait A. Bellanger, mais la beauté, elle, subsiste, elle existe dans le réel.
Il convient d’interroger de nouvelles formes de récits et de poésie.
Parce que se poser la question de la poésie c’est se poser la question de l’émerveillement. Et à mon sens, la poésie est bien vivante et loin d’avoir disparue.
Nos vies continuent à être sublimées par la langue et les mots ; la poésie est dans nos chansons, dans le rap (tellement, (ré)écoute Oxmo Puccino, pour ne citer que lui), dans certains romans hautement poétiques, au coin de la rue parfois, sur les murs, dans le métro…
La poésie qui semble affaiblie occupe en fait l’espace, avec ses mille et un visages. Elle casse les codes et contribue à nourrir des feux intérieurs.
Parce que la poésie, c’est aussi la prose, les petites phrases qui condensent de grandes émotions voire des tweets aux mots qui bouleversent.
Alors comment mettre davantage de lumière sur ce genre ? 🔦
La poésie au bout du doigt 📱
Sur nos écrans, éclosent de petites bulles de poésie, accessibles et adaptées à la lecture sur les réseaux sociaux. On citera bien sûr à ce propos la référence, Cécile Coulon. Romancière bien connue, elle a aussi remporté un franc succès (et le prix Apollinaire) avec « Les Ronces », poésie « narrative » d'abord publiée sur Facebook. Selon son éditeur, elle aurait vendu 13 000 exemplaires, niveau rare pour ce genre. 👏
On trouve sur les réseaux sociaux pléthore d’autrices et auteurs amateurs qui font vivre le genre en postant notamment sur Instagram la photo de quelques vers de leur cru. On y décèle souvent des caractéristiques communes qui les rapprochent de la poésie classique : esthétique de l’intime, effusion du sentiment, romantisme très répandu, rimes et versification.
C’est donc une forme plutôt traditionnelle du poème que l’on retrouve ici, dans la tradition du XIXème et XXème qui peut s’opposer au travail plus expérimental des poète·sses contemporain·es.
Ces courts textes rendent toutefois le genre accessible et offrent une belle porte d’entrée vers d’autres ouvrages ou formes poétiques.
La poésie comme art oratoire 🎙
« Le lectorat est parfois déconcerté par les recueils de poésie et entre beaucoup plus facilement dans la densité du texte lorsque la voix le porte »
Olivier Chaudenson, directeur de la maison de la poésie de Paris.
Les poètes de notre siècle cherchent à dépasser l'écrit avec des performances.
En quête d'une nouvelle façon de faire vivre leur texte, ils l'accompagnent de son, de musique, d'images, parfois même d'une mise en scène corporelle et choisissent des lieux inattendus pour les déclamer : une place publique, un café, un théâtre, un musée. « L'idée est de sortir la poésie de son espace habituel et de voir comment le poème vit à l'extérieur de la page », explique le poète Jérôme Game.
Cet art oratoire ne vous évoque rien ?
Le rap, comme je le mentionnais un peu plus haut, est une forme vivace de l’écriture et rythmique proche de la poésie avec des thèmes qui touchent aujourd’hui. Un véritable renouveau du genre qui le rend bien vivant. On pourrait aussi citer le slam et d’autres styles musicaux influencés par cet héritage.
Arthur Teboul du groupe Feu ! Chatterton revendique également vouloir dépoussiérer la poésie. 🧹
Il s’est pour cela armer de la plume du poète mais aussi de sa voix, pour déclamer des vers, dans son cabinet de rue à Paris, Le déversoir, où l’on peut aller écouter un poème comme on s’arrêterait acheter des fleurs. 💐
Effet boule de neige, le rap alimente aussi le nouveau souffle de la poésie aujourd’hui avec un renouveau côté édition, avec des maisons qui se créent pour faire entendre de nouvelles voix, plus jeunes, portées par ces formes d’expressions orales.
On citera L’iconopop, une collection « entre poésie et slam » qui a publié notamment le rappeur légendaire (et poète donc) Akhenaton.
« On a pour objectif de toucher le grand public avec des textes courts, accessibles, en phase avec l'époque, qui s'écoutent et se déclinent sur scène »
Sophie de Sivry, fondatrice des éditions l’iconoclaste et de l’Iconopop.
Je ne suis pas une spécialiste du genre ni une grande lectrice de poésie mais je m’attache à lui laisser de la place. J’essaye, j’en goûte, je l’apprivoise.
Si tu es plus aguerri.e avec celle-ci, je te serai reconnaissante d’apporter ta pierre à ce petit édifice en réponse à ce mail ou en commentaire. 🙏
Quelques liens pour aller plus loin :
📝 Un article très dense, fouillé et analytique de Anne Dujin (qui a fortement infusé ce dossier) sur l’évolution de la poésie française depuis le XIXème siècle. Elle soupçonne notamment un poids trop lourd de l’héritage français.
🌸 Si un pays est bien celui de la poésie, malgré nos grands poètes français (j’aimerais dire poétesses mais nous savons…), c’est le Japon et son subtil art du haïku. On pourrait y consacrer toute une édition mais j’y connais trop peu (peut-être l’un.e de vous pourrait m’y aider ?). Il est édifiant de lire que c’est toute la culture de ce pays qui est menacée par le dérèglement climatique.
4 ouvrages de poésie recommandés par la librairie L’Instant
+ 1 livre illustré + 1 newsletter à découvrir en bonus 💥
Tu l’auras compris, la poésie et moi, on s’apprivoise encore. J’aurais pu te présenter les recueils contemporains que j’ai découverts dernièrement (beaux, touchants, puissants) mais j’ai préféré laisser faire les pros pour des recos plus pertinentes.
Je me suis donc empressée de pousser la porte de la librairie L’instant pour demander conseil à ma libraire favorite. Voici un extrait de la sélection proposée par Sandrine Babu. 🙏
💌 Lettres et poèmes à GABRIËLE, de Francis Picabia.
Une véritable ode à l’amour à travers ces écrits inédits adressés à sa femme et inspiratrice : Gabriële Buffet (déjà croisée chez Anne et Claire Berest pour celles et ceux qui ont lu Gabriele). L'occasion de redécouvrir le talent d'écriture d'un immense original, un géant parmi les artistes du XXe siècle.
Ma libraire m’a orientée avec enthousiasme vers cette collection des éditions Seghers qui (ré)éditent de très jolis ouvrages de poète·sses classiques ou contemporain·es (comme Arthur Teboul dont on a parlé plus haut).
✊ Habitant de nulle part, originaire de partout, de Souleymane Diamanka.
Ce poète-slameur jongle avec les mots, les fait « métisser », au croisement de sa double culture, peule et européenne. Une poésie qui prêche l'oralité, dépositaire d'un chant intemporel, d'un appel à l'amour, à la tolérance et à la connaissance de l’autre.
Je le lis en ce moment et je suis saisie. C’est un genre poétique dont je me sens très proche, accessible, vivant, visuel, sans superflu. Je le recommande donc désormais aussi. 🙌
🌊 Le chant des marées, de Watson Charles.
Ce poète d’origine haïtienne nous transporte sur son île, son pauvre pays inlassablement secoué par les catastrophes.
La poésie comme art de sublimer mais aussi de transmettre, de toucher, de porter les colères au-delà des frontières. Un ouvrage empreint d’espoir et de mélancolie, chaudement recommandé par Sandrine.
Merci encore à Sandrine de la librairie L’instant de nous avoir guider en terre de poésie.
Je prends la liberté d’ajouter une oeuvre bonus, je sais qu’elle l’approuverait (et on ne peut pas se passer de femmes dans les recos 🙆♀️).
👯♀️ Enracinées, de Anouk et Pauline Delabroy-Allard.
Un échange de poèmes entre sœurs, quoi de plus poétique que cette idée ?
Anouk et Pauline nous entrainent avec force et pudeur sur la trace de leurs souvenirs communs, de leur complicité, de leur tendresse. Un ouvrage solaire, qui fait du bien.
Recommandation bonus qui met les poétesses à l’honneur, soufflée à la dernière minute par Léonie (dramaturge) !
🔥 Je serai le feu, de Diglee.
Cette anthologie réunit 50 poétesses du XIXème siècle à nos jours. Certaines sont très connues, d’autres sont tombées dans l’oubli, mais toutes ont en commun d’avoir marqué leur époque, et d’avoir écrit de sublimes poèmes. Chacune d’entre elles est présentée à travers une illustration originale, sa biographie et une sélection des poèmes préférés de Diglee.
Un beau livre qui permet de redonner leur place à ces artistes invisibilisées (tiens donc !).
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À très bientôt pour l’exploration de nouvelles pages 👋
Merci 💚