Y’a-t-il du mal à se faire du bien en littérature ?
Les romans feel good sont-ils forcément de piètre qualité ? Exploration et recommandations de livres qui font se sentir bien, sans trop d’eau de rose.
Bienvenue dans cette 20ème édition de Aux livres, etc. 📚
Pour celles et ceux qui viennent de nous rejoindre, on aborde toutes les deux semaines une thématique liée à la littérature et à la lecture.
Ici, on se penche davantage sur l’acte de lire que sur celui d’écrire, en se situant du côté des lecteurs et lectrices.
Mon objectif : redonner une place de choix aux livres dans nos vies, arpenter le monde littéraire sans se prendre au sérieux, ouvrir le dialogue et échanger des recommandations.
Retrouve la genèse du projet par ici pour en savoir plus.
Déjà la vingtième !
Bientôt cette newsletter fêtera ses un an. Merci à celles et ceux qui me lisent et m’encouragent depuis le début et aux personnes qui continuent de s’abonner 🙏
D’ailleurs, pour me donner un coup de pouce supplémentaire avant ce premier anniversaire, ça me ferait chaud au cœur que vous partagiez la newsletter avec des personnes qu’elle pourrait intéresser !
La lecture, le sujet peut paraitre trivial au vu de l’actualité, des guerres, de l’inflation, des violences et des oppressions qui pèsent partout, du climat politique et social…
Qui a le temps de se perdre dans un livre ?
Les personnes qui rêvent, qui aspirent à mieux, à un monde autrement. Celles qui font l’autruche aussi, qui s’évadent, qui disent non, merde, pas maintenant, pas comme ça.
Les femmes et hommes qui cultivent leur monde intérieur quand tout s’écroule autour. Les folles et les fous. Les inconscients.
Celles et ceux qui tiennent bon, qui résistent à l’urgence du présent.
Ça peut paraitre trivial, un livre, mais quel autre objet nous ouvre tant de portes ?
C’est un luxe. Osons-le. Il est si accessible.
Y trouverait-on peut-être aussi le bonheur ?
La fameuse littérature feel good peut-elle nous sauver ? Si le genre est dénigré, y a-t-il du bon à y prendre ?
L’idée d’explorer le bonheur (ou du moins le bien-être) en littérature est partie d’un message de Marjorie
auquel j’ai été bien en peine de répondre.Cette lacune personnelle, alliée à un besoin collectif de réconfort, a suffi à me lancer dans cette édition « bien-être » de la newsletter.
Et un peu comme par hasard, ce mercredi, dans la Grande Librairie, Sophie Fontanel parle d’imaginaire et de combats à remporter avec les livres qui finissent bien.
Rapide exploration et recommandations de romans doudous par mes trois libraires préféré·es 💗
Qu’est-ce qu’un roman feel good ?
Littéralement, un roman grâce auquel on se sent bien.
Ce genre se caractérise notamment par la narration de scénarii classiques et réalistes qui se concluent de façon positive, de sorte à susciter un sentiment de bien-être chez le lecteur, voire de réconfort par identification. Ce sont bien souvent des histoires d’amour (mais pas seulement), débordantes d’émotions, où priment réussite personnelle et happy end.
En gros, le héros (ou l’héroïne le plus souvent) se sent mal, quelque chose cloche. II va rencontrer des épreuves, les surmonter, trouver la clé de sa résilience (spoiler alert : s’ouvrir aux autres et à la vie) et vivre heureux pour toujours dans le meilleur des mondes. (Voir cet exemple au pitch parfait).
Pour résumer à la manière de Babelio : Roman feel-good : marrant, voire loufoque, il met de bonne humeur, donne la pêche, fait du bien et se lit vite. Bref pour s’aérer la tête, un antidépresseur de papier et d’encre.
Humour ou légèreté, optimisme, quotidien et apparente banalité, happy end, simplicité de lecture. Voilà la recette.
Le succès du feel good va de pair avec l’engouement ces dernières années pour le développement personnel et la quête de spiritualité. Ces romans inspirent les lecteur·ices pour le meilleur, les poussent à dépasser certaines situations ou à prendre de la distance avec des événements tragiques. L’auteur·ice endosse quasiment un rôle de coach.
Si ce sont des grands succès de librairie depuis une dizaine d’années, que Melissa Da Costa, Virginie Grimaldi et consorts squattent les tops ventes, ces romans passent inaperçus à l’école et dans les études et articles littéraires.
La production très dense des auteurs et autrices du genre interpelle et souligne la dimension schématique et répétitive des intrigues.
On a tendance à placer ces best-sellers dans le champ de la consommation, des romans populaires et pas dans le champ artistique étudié dans les universités.
Ils présentent en effet peu d’intérêt littéraire car ils suivent un schéma, des codes, des règles qui en font des ouvrages de faible qualité. Absence de recherche de style, langage simple pour parler à tous, recourt fréquent au cliché, intrigue facile et prévisible…
Ce n’est pas moi qui le dis (j’avoue, je n’en ai pas lu pour l’édition) ; pour en savoir plus sans en lire une ligne, je te renvoie à ce podcast édifiant.
« Il ne faut pas avoir de dédain pour ces livres. Mais pas les soumettre non plus à un jugement classiquement littéraire, sinon on ne voit que les clichés »
Michel Murat, agrégé et docteur en lettres.
Un autre écueil est la forme de marchandisation de la manière d’aller mieux qu’ils promeuvent, en mettant en avant des doctrines simplistes du bien-être et une certaine idéologie de vie plutôt conservatrice.
Alors y en a des biens ?
Quels ouvrages retenir dans ce genre ? Et si l’on s’en tient à ce qui définit un roman feel good (sensation de bonheur, happy end), peut-on trouver dans la littérature générale, dite Blanche, des livres qui font du bien ?
Je suis allée demander conseil à mes libraires adorées et à une nouvelle adresse près de Lyon qui m’a été recommandée.
Je laisse la place à leurs recommandations. 👇
Pour aller plus loin
🎧 À écouter : Littérature feel-good : pourquoi est-ce mal vu de se faire du bien ?
🧐 À lire : le rebranding du genre en pop littérature pour défier les clichés.
📖 Best-Sellers - L'Industrie Du Succès, L'Industrie Du Succès, Sylvie Ducas, Alexandre Gefen, Olivier Bessard-Banquy
Explorons ce qui se fait de mieux au rayon feel good avec les conseils d’Eva, libraire et fondatrice de la librairie Celestine à Meximieux
La Bibliothèque Des Rêves Secrets, Michiko Aoyama
Il y a une grosse tendance asiatique dans la littérature feel good actuellement, à explorer pour les adeptes.
Le pitch : Imposante et énigmatique, coincée entre le paravent et le bureau d'angle d'une petite bibliothèque au coeur de Tokyo, Sayuri Komachi attend patiemment ceux qui décident de venir la voir. Hommes ou femmes, jeunes ou vieux, salariés ou retraités..., ils sont tous au carrefour de leur vie. À chacun, la mystérieuse bibliothécaire propose un ouvrage totalement inattendu, bien loin de celui qu'il était venu chercher. Et derrière cette lecture imprévue se dessinent toujours les premiers jalons d'un nouveau départ. Un roman choral poétique qui célèbre le pouvoir des livres et l'importance qu'une personne attentive et attentionnée peut avoir sur le destin d'autrui.
Il y a aussi, sur un autre registre, toute une tendance autour des « cosy crimes », un sujet à part entière.
Là Où Les Arbres Rencontrent Les Étoiles, Glendy Vanderah
Un livre qui fonctionne bien parce qu’il mêle une histoire d'amitié entre une petite fille et une ornithologue, une petite histoire d'amour, du suspense et une fin heureuse (c'est le plus important dans le feel-good je pense).
Le pitch : Au coeur des forêts de l’Illinois, Joanna Teale s’est façonné une routine paisible et solitaire. Levers à quatre heures du matin, randonnées difficiles en quête de nids d’oiseaux, recensements d’espèces… Dans la chaleur étouffante et humide de l’été, elle s’abandonne à ces journées en pleine nature loin du tumulte du monde. Jusqu’à ce qu’une étrange petite fille vienne bousculer ce fragile équilibre.
L'autrice du moment serait Serena Giuliano : parfaite pour ceux qui auraient déjà tout lu de Virginie Grimaldi, qui souhaiteraient voyager et qui veulent une petite histoire d'amour.
Il y aussi une grosse tendance Clarisse Sabard actuellement, avec notamment Le souffle des rêves.
Deux autrices qui fonctionnent aussi bien chez moi : Lorraine Fouchet et Laurence Peyrin (un peu d'histoire et des personnages attachants).
Je conseille parfois les livres de Fabrice Caro : cela ne va pas fonctionner pour tout le monde, Fab Caro étant plus cynique qu'autre chose mais les lecteurs qui me demandent du léger ou du drôle peuvent vouloir cet humour là ! J'ai beaucoup aimé Broadway ou Samouraï.
Encore dans un autre registre, les livres de Joyce Maynard : ils ne commencent jamais de façon idéale mais ils sont toujours remplis d'humanité comme L'hôtel des oiseaux (qui a en plus une fin heureuse).
Côté littérature, les recommandations (très italiennes) de Charlotte, libraire à La Nouvelle Page, Paris 7ème
♟ Partie italienne, Antoine Choplin
Un roman poétique et sensible.
Le pitch : Gaspar est un artiste reconnu et sollicité. Pourtant, il ne rêve que de quitter Paris et s’installer quelques jours Campo de’Fiori, à Rome. Là, à une terrasse de café, devant un jeu d’échecs, il joue contre des amateurs de passage et savoure la beauté des jours. Un matin, une femme s’installe à sa table pour une partie. Elle s’avère être une adversaire redoutable et gagne très vite. L’histoire entre eux naît sur l’échiquier, avant de se déployer ailleurs, singulière et douce.
👸 Portrait de mariage, Maggie O’Farrell
Tellement jubilatoire !
Le pitch : C’est un grand jour à Ferrare. On y célèbre les noces du duc Alfonso et de Lucrèce de Médicis. La fête est extravagante et la foule n’a d’yeux que pour le couple. La mariée a quinze ans. Rien ne l’avait préparée à ce rôle. Elle n’était que la troisième fille du grand-duc de Toscane, la discrète, la sensible, celle dont ses parents ne savaient que faire. Mais le décès soudain de sœur aînée a changé son histoire. La fête est finie, Lucrèce est seule dans un palais immense et froid. Seule face aux intrigues de la cour. Seule face à cet homme aussi charismatique que terrifiant qu’est son mari. Et tandis que Lucrèce pose pour le portrait de mariage qui figera son image pour l’éternité, elle voit se dessiner ce que l’on attend d’elle : donner vie à un héritier. Son propre destin en dépend…
Retrouve toutes les recommandations de Charlotte sur le compte Instagram de la librairie.
Les suggestions littéraires de Sandrine et Sylvestre, de la librairie L’instant, Paris 15ème
🐶 Le chien de madame Halberstadt, Stéphane Carlier
On retrouve ici les codes de la littérature feel-good (le héros voit sa vie changée grâce à son ouverture au monde extérieur) mais avec beaucoup de second degré, ce qui en fait un roman loufoque et réjouissant.
Le pitch : Quand le chien de la voisine débarque chez Baptiste, c’est toute sa vie qui est bouleversée. Baptiste, écrivain, a connu des jours meilleurs. Son dernier roman a fait un flop, sa compagne l’a quitté pour un dentiste et, à bientôt quarante ans, il est redevenu proche de sa mère. Il passe ses journées en culotte de survêtement molletonné, à déprimer dans son studio qui sent le chou… Jusqu’à ce que Madame Halberstadt, sa voisine de palier, lui demande de garder son chien quelques jours. Baptiste accepte à contrecœur et doit très vite se rendre à l’évidence : depuis que Croquette a franchi le seuil de son appartement, sa vie change du tout au tout.
🇬🇧 Le Dimanche Des Mères, Graham Swift
Classique, malin et délicieux.
Le pitch : Angleterre, 30 mars 1924. C’est le dimanche des mères, jour où les aristocrates donnent congé à leurs domestiques pour qu’ils rendent visite à leur famille. Jane, une jeune femme de chambre orpheline, le passera en compagnie de Paul, son amant de longue date. Traversant la campagne inondée de soleil, elle le rejoint pour un dernier rendez-vous car Paul s’apprête à épouser une riche héritière. Mais les choses ne se déroulent pas comme prévu. Ce dimanche changera à jamais le destin de Jane. Graham Swift dépeint avec subtilité une aristocratie déclinante, porteuse des stigmates de la guerre, et l’émergence d’une classe nouvelle en quête de liberté. Un roman d’une intensité rare, troublant de grâce, de mystère et de sensualité.
☎️ Le Répondeur, Luc Blanvillain
Une comédie bien écrite sur le monde de l’édition aux allures de Vaudeville.
Le pitch : Baptiste sait l’art subtil de l’imitation. Il contrefait à la perfection certaines voix, en restitue l’âme, ressuscite celles qui se sont tues. Mais voilà, cela ne paie guère. Maigrement appointé par un théâtre associatif, il gâche son talent pour un quarteron de spectateurs distraits. Jusqu’au jour où l’aborde un homme assoiffé de silence. Pas n’importe quel homme. Jean Chozène. Un romancier célèbre et discret, mais assiégé par les importuns, les solliciteurs, les mondains, les fâcheux. Chozène a besoin de calme et de temps pour achever son texte le plus ambitieux, le plus intime. Aussi propose-t-il à Baptiste de devenir sa voix au téléphone. Pour ce faire, il lui confie sa vie, se défausse enfin de ses misérables secrets, se libère du réel pour se perdre à loisir dans l’écriture. C’est ainsi que Baptiste devient son répondeur. À leurs risques et périls.
📨 Moi Et François Mitterrand, Hervé Le Tellier
Drôle et décalé, cet échange épistolaire est savoureux.
Le pitch : « Cher François, Je viens, un peu tardivement, de lire la liste des personnalités mises sur écoute. Il y appert que je n’ai pas été surveillé. Sache, François, que je ne me serais nullement trouvé flatté de l’avoir été. » En 1983, un homme ordinaire envoie une carte postale au président de la République pour le féliciter de son élection. Quand l’Élysée lui retourne une lettre type, il se persuade qu’elle lui est personnellement adressée. Réjoui par cette intimité naissante, il entame une correspondance dans laquelle il évoque ses déboires amoureux, la perte de son emploi, ou même la disparition de son chat. Le Président répondra-t-il aux attentes de son administré ? Quand Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande se succèdent, de nouveaux échanges désopilants s’engagent…
👀 Ils conseillent de jeter un œil du côté des auteurs (et autrice) suivants : Auður Ava Ólafsdóttir, Yves Ravey, Pierre Jourde, Nick Hornby, Antoine Laurain, Jean-Paul Dubois et David Foenkinos.
💫 On citera aussi (et cette fois je les ai lus, je peux appuyer la recommandation) Mon mari de Maud Ventura et Un homme sans histoires de Nicolas Carreau qui assurent de passer un bon moment, dans un style simple mais tous deux bien écrits et très prenants.
Au fond n’est-ce pas ce qu’on attend d’un roman feel good ? Un livre qui donne envie d’y revenir, qu’on a du mal à lâcher et qu’on referme avec le sourire.
C’est tout pour aujourd’hui ! 📘
Rendez-vous dans deux semaines pour parler cadeaux de Noël.
D’ici là, lisez bien (du feel-good, du sordide, du grandiose, ou ce qui te fera du bien à toi). 👋
J'ai bien aimé découvrir l'originalité des contextes dont partent les intrigues de ces romans feel good. Je n'en ai encore jamais lu un seul, moi qui ne jure que par les genres opposés que sont le thriller, l'horreur, le fantastique et la dystopie. Je me demande si pour passer du noir au lumineux il y a des romans par lesquels commencer...
Perso lire me fait me"sentir bien " !
alors une belle histoire d’amour ou d’amitié sur fond d’époque ou de faits historiques me permet de m’évader…
Julia 🙏