Que reste-t-il de nos lectures ?
On lisait quoi il y a dix ans ? On fait le bilan (calmement) en se remémorant la rentrée littéraire 2014.
Bienvenue dans cette 37ème édition de Aux livres, etc. 📚
Ici, on se penche davantage sur l’acte de lire que sur celui d’écrire, en se situant du côté des lecteurs et lectrices, avec toutes les deux semaines une thématique liée à la littérature et à la lecture. Retrouve la genèse du projet par ici pour en savoir plus.
Ivre, fin août 2024, elle ne traite pas le marronnier de la rentrée littéraire.
Et pourtant, je suis la première cliente de ce phénomène !
J’adore que tant de livres paraissent d’un coup.
J’adore que la littérature devienne pour quelques semaines (jours ?) un sujet central dans les médias.
J’adore que les tables des librairies changent radicalement de visage en rouvrant après l’été (même si pour les libraires c’est une autre paire de manches une telle reprise !).
J’adore qu’Augustin Trapenard réapparaisse bientôt pour nous dire quoi lire avec toute sa passion et son émotion.
J’adore que les premiers prix dévoilent leur liste et fassent gentiment monter la tension (et l’attention) sur certains romans.
J’adore me retrouver inopinément séduite par de nouveaux titres aguicheurs.
Si d’aucuns dédaignent ces phénomènes littéraires commerciaux, il faut reconnaitre qu’ils font partie d’un certain folklore français et surtout qu’ils permettent à toute une industrie (eh oui, c’en est une) de (sur)vivre.
Mais alors, pourquoi ne pas consacrer cette édition à la rentrée littéraire qui bat son plein ?
D’abord, c’est déjà fait. Mais aussi parce que dans ce rythme fou, cette course effrénée à la nouveauté, il fait parfois bon se poser pour regarder en arrière.
T’en souviens-tu, toi, de ce que tu lisais il y a 4, 8, 10, 15 ans ?
Moi, pas tant, je dois l’avouer, si ce n’est quelques titres parmi les plus bouleversants que je ne date pas toujours très bien.
Malgré la grand-messe de la rentrée littéraire qui a lieu partout autour, prenons du recul, arrêtons la course du temps, souvenons-nous.
Par ici, si tu veux sauter directement aux recommandations à rebrousse temps.
Approuvés par le temps, indémodables, légitimés socialement… Il serait tentant de ne lire que des classiques.
Ces livres que l’on a tous et toutes lus ou qu’on connait sans même les avoir ouverts.
« Un classique est quelque chose que tout le monde voudrait avoir lu et que personne ne veut lire. » Mark Twain
Une liste de sacro-saints ouvrages triés sur le volet, quand tant d’autres ont sombré dans l’abime de la littérature.
La postérité en littérature est un mythe tenace.
Avec des milliers de parutions par an, il est assez logique (et sain) que nous ne retenions pas tout. Le temps fait son travail, le couperet de la sélection tombe.
Oublieuse postérité, podcast bimensuel, met en lumière des œuvres et auteurs oubliés.
Mais pourquoi les classiques subsistent, eux ?
Grâce aux lecteur·ices qui les transmettent ? Par leur nature même de grand roman ? Grâce à l’école ?
Réservons ses questions pour une prochaine fois.
Comprendre d’où viennent les classiques donnera sans doute lieu à une newsletter à part entière ; mais ce qui m’apparait, de prime abord, c’est qu’ils font office de marqueurs culturels, de références communes, en tant qu’ils aident à comprendre le passé et ce qui a forgé le monde actuel.
La littérature contemporaine permettrait, elle, de mieux saisir le monde d’aujourd’hui et de construire celui de demain.
Les deux sembleraient indissociables.
Et entre les classiques et la rentrée littéraire ? Il y a 10 ans alors, en 2014, on lisait quoi ?
À l’époque, je me tournais encore surtout vers des grands noms du XXe (Camus, Colette, Kundera, Sagan…) car quand je regarde les succès de cette rentrée littéraire je suis passée à côté.
Sauf un nom, un amour, qui commence en mûrir en moi : en 2014, Modiano recevait le prix Nobel de littérature et je me mets alors à enchaîner les coups de cœur pour son œuvre. Voilà donc 10 ans que j’ai rencontré mon auteur préféré. 🫶
Poursuivons du côté des prix littéraires 2014 pour se rafraichir la mémoire.
Prix Femina : Bain de lune de Yanick Lahens
Prix Goncourt : Pas pleurer de Lydie Salvayre
Prix Goncourt du premier roman : Arden de Frédéric Verger
Prix Goncourt de la nouvelle : Vie de monsieur Leguat de Nicolas Cavaillès
Prix Interallié : Karpathia de Mathias Menegoz
Prix des libraires : Kinderzimmer de Valentine Goby
Prix du Livre Inter : Faillir être flingué de Céline Minard
Prix Médicis : Terminus radieux d’Antoine Volodine
Prix Renaudot + Goncourt des lycéens : Charlotte de David Foenkinos
Grand prix du roman de l’Académie française : Constellation d’Adrien Bosc
Prix de Flore : L’Aménagement du territoire d’Aurélien Bellanger
Grand prix de la francophonie : Fouad Laroui et Georges Banu
Prix Orange du Livre : Maylis de Kerangal pour Réparer les vivants
On pourrait aussi citer parmi les plus mémorables L’amour et les forêts, de Éric Reinhardt, adapté et césarisé depuis.
On retrouve sur Babelio un bon panel de ce qui a paru cette année-là.
Et sur leslibraires.fr une liste des primoromans de 2014. Je dois le dire, je n’en ai lu aucun, même si Gauz m’a depuis été fortement recommandé (il m’attend dans mon placard de livres à lire. Black Manoo, pas Gauz).
Et toi, de combien de ces romans te souvenais-tu ? En as-tu lu qui t’ont marqué ?
En parcourant ces titres que je n’ai pas lus, cela me fait le même effet qu’en découvrant la rentrée littéraire 2024. J’ai envie d’aller à la rencontre de ces histoires, de ces styles, des autrices et auteurs que je ne connais pas encore.
Eternel FOMO (Fear of missing out - peur de passer à côté) ?
Ce n’est pas tant la nouveauté qui m’attire en littérature que l’inconnu.
Alors pourquoi cette course en avant de la nouveauté ?
Il y a bien assez à lire après tout, on pourrait s’arrêter là, ne plus publier. Si on saute une ou deux rentrées littéraires, aucun mal n’est fait aux lecteur·ices non ?
Mais comment faire acheter un même roman sur plusieurs années ? Comment maintenir la hype sur un temps long quand si peu de personnes lisent ?
Une question marketing de premier ordre pour le monde du livre, qui a visiblement opté pour un cycle de vie assez court pour chaque titre, au profit de sorties fréquentes pour entretenir l’engouement.
Si le marketing est un vilain mot dans les milieux culturels, il reste indispensable (dans le monde dans lequel on vit). Pas de nouvelles voix, pas de coups de poker sur des romans plus confidentiels, pas d’audace, sans les valeurs sûres et les grands temps forts littéraires.
Sans parler des écrivain·es, éditeur·ices, libraires et l’ensemble de la chaîne du livre, l’absence de rentrée littéraire risquerait de signer la mort de la littérature.
Rien que ça ?
Les parutions de l’automne génèrent à eux seuls 15 % à 20 % des ventes de fiction en grand format de l’année. Ajoutons à cela les tirages des romans récompensés par les grands prix chaque année et le chiffre devient indispensable à la survie des acteurs du monde du livre ! De là à dire qu’acheter des nouveautés est un acte militant, il n’y a qu’un pas (que je suis prête à franchir).
Une nuance de taille à apporter toutefois. Peut-être as-tu entendu les plaintes des libraires en juin, ils croulent sous les nouveautés bien trop fréquentes et appellent à un peu plus de mesure dans le nombre de parution.
S’il y a du progrès (nous vivons la rentrée avec le plus petit nombre de parution du XXIeme siècle), la marge de progression reste encore assez conséquente pour rationaliser tout ça.
Entre phénomène culturel et commercial, la rentrée littéraire (finalement j’ai réussi à en faire mon sujet l’air de rien 😙) s’est imposée comme une référence et un incontournable en France.
Laissez vous tenter, ruez-vous sur les parutions de l’automne, sans pour autant oublier les beaux titres qu’ont offerts ces dernières années et les classiques qui éclairent les œuvres d’aujourd’hui ! Il y a tant à lire… pourquoi choisir ?
Bref, lisons encore plus ! Voilà la seule conclusion tolérable. 🤓
Aujourd’hui, hier, il y a cent ans. ⏳
Trois recommandations (et demi) à rebrousse temps.
Frapper l’épopée, Alice Zeniter.
Premier livre de cette rentrée littéraire sur lequel je me suis jetée, parce que grande fan de l’autrice (et particulièrement de l’Art de perdre).
Verdict ? Subtil, drôle, intelligent, juste et beau.
Je ne sais jamais trop si je voudrais épouser ou être Alice Zeniter… Je suis probablement parti pris, je dois bien le concéder ! 🫣
C’est un roman très surprenant qui te plaira si tu t’intéresses à la Nouvelle-Calédonie et plus largement aux questions liées à la colonisation. C’est une approche très immersive, fictionnelle (mais pas que) et éclairante des enjeux actuels de cette terre.
Cinq dans tes yeux, Hadrien Bels
En 2020, gros coup de cœur pour ce livre qui a Marseille pour personnage principal.
À l’époque, je découvre à peine cette ville sur laquelle j’avais plein d’a priori, je commence à m’y faire et oserais-je dire à l’aimer ? On n’est jamais sûr de rien avec cette cité monstrueuse, mais Hadrien Bels contribue (dans une langue de rue très habile) à dresser un portrait authentique, moderne et vibrant de cette ville souvent décriée et devenue si tendance.
Leurs enfants après eux, Nicolas Mathieu
… paraissait il y 6 ans déjà ! On ne le présente plus. Un conseil si tu ne l’as pas lu, fais-le vite avant la sortie du film le 4 décembre. J’ai très hâte !
(Voilà pour ma demi-recommandation tant on n’a plus besoin de recommander ce roman).
L’uniformisation du monde, Stefan Zweig
Il y a 100 ans (99 pour être correct), Zweig nous parle de l’uniformisation du monde. Un très court texte, auquel Laura Sibony (que vous connaissez déjà) prête sa voix pour faire résonner ce texte toujours très actuel.
À lire ou à écouter 👇
Contrairement à ce que je t'ai dit hier .... je me souviens très bien de 2 romans 2014
Réparer les vivants m'avait beaucoup marqué ... les débuts de la prise de conscience de l'importance du don d'organes
Et L’amour et les forêts. Je me suis souvenue l'avoir lu en regardant le film .... et donc (comme Monte Cristo quelques temps plus tard) je l'ai relu. C'est etonnant car souvent plutôt le contraire, cette fois le film m'a plus emue que le livre. Surement le Melvil Poupaud effect :-)
Très intéressant ! Je me souviens bien plus de mes lectures adolescentes parce qu'à l'époque, acheter un livre papier c'était un investissement financier pour ma famille, donc j'en lisais moins, et j'avais aussi l'habitude de les relire et pas juste de passer à autre chose après en avoir terminé un.