Les livres interdits dans le monde en 2025
Où il est question de censure, de littérature qui résiste, de livres importants.
Bienvenue dans cette 47ème édition de Aux livres, etc. 📚
Ici, on se penche davantage sur l’acte de lire que sur celui d’écrire, en se situant du côté des lecteurs et lectrices, avec toutes les deux semaines une thématique liée à la littérature et à la lecture. Retrouve la genèse du projet par ici pour en savoir plus.
Est-ce le climat politique terrifiant qui m’a soufflé ce thème ?
Entre l’investiture sidérante, la montée insidieuse des extrêmes et les récents propos affligeants chez Meta (Isabelle Sorrente en a parlé ici mieux que personne)… l’angoisse a du mal à se taire.
Sauf, parfois, entre les pages d’un livre, au sein du doux refuge que peut être la lecture d’un roman.
Pourtant, la littérature n’est jamais acquise, la censure et les autodafés ont toujours été un moyen de contrôler les hommes, la pensée et les révolutions. Et aujourd’hui encore ce contrôle des écrits sévit à travers le monde.
Faisons le point sur la censure en 2025 et osons une projection dystopique… Une invitation à rester vigilant·es.
Qu’ont en commun le masque de fer (Alexandre Dumas), Beloved (Toni Morrison), Persépolis (Marjane Satrapi) et La servante écarlate (Margaret Atwood) ?
Ces titres ont tous été retirés de certaines écoles aux États-Unis (principalement en Floride).
L’opprobre est porté (par des associations conservatrices) sur les ouvrages reproduisant ou évoquant des scènes de nudité, ainsi que ceux traitant des questions de genre ou d’orientation sexuelle.1
Les interdictions visent aussi plus largement les romans traitant de l’esclavage, des minorités (raciales, sexuelles) et du genre.
La liste est longue, je l’ai téléchargée, elle compte plus de 4000 occurrences… Une école a même interdit les Culottées de Pénélope Bagieu ! 🤦♀️
Ce qui est d’autant plus alarmant est que les appels à la censure par des groupes conservateurs sont en hausse dans le pays ces dernières années.
À noter que la censure porte ici sur la présence des livres dans les écoles, auprès des plus jeunes publics. Outre le contrôle des idées, cela pose aussi la question de ce que lisent les enfants et adolescents. J’avais déjà parlé des injonctions aux plus jeunes : quoiqu’ils choisissent (romance, manga, young adult…) ils ne lisent pas assez bien.
Parenthèse refermée.
Et ailleurs dans le monde ? Quel est l’état de la censure en 2025 ?
La plupart des pays utilisent encore la censure, sous plusieurs motifs (religion, politique, culture, idéologie…). Elle vise toujours à silencier des idées, des voix qui apparaissent comme dissidentes ou à restreindre certaines visions du monde.
Le genre, la race ou l’orientation sexuelle sont les thèmes que les conservateurs visent pour interdire des livres en masse aux États-Unis, comme on l’a vu plus haut. Mais pas que… retrouvez ici quelques indications pour compléter le panorama. Où l’on apprend par exemple que Alice au pays des merveilles est censurée dans la province de Hunan (Chine) à cause des animaux qui parlent et du fait de les placer ainsi sur un pied d’égalité avec les humains.
En Géorgie, ce sont les livres pro-européens qui connaissent la censure par un gouvernement prorusse.
En Algérie, les questions historiques du pays sont contrôlées de près, avec une maison d’édition qui subit actuellement une fermeture imposée par l’État, l’interdiction de la présence de Gallimard (maison qui a publié Houris de Kamel Daoud) à un salon du livre, et la détention de l’auteur contestataire Boualem Sansal.
Et ce ne sont que quelques exemples.
Et en France alors ?
Récemment, nous avons aussi connu un cas de censure qui a fait grand bruit.
La censure littéraire est (pour l’instant ?) rare dans notre pays, mais certaines œuvres peuvent être restreintes, dans le cadre de la protection des mineurs. La loi du 16 juillet 1949 encadre les publications destinées à la jeunesse, visant à protéger les jeunes lecteurs de contenus jugés inappropriés (encore les jeunes, toujours les jeunes. À croire que les adultes ne peuvent pas être manipulés. C’est mal connaitre Elon M.…).
En juillet 2023, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a interdit la vente aux mineurs du roman Bien trop petit de Manu Causse, publié aux éditions Thierry Magnier (indiquant pourtant un texte pour les plus de 15 ans). En cause ? « La description complaisante de nombreuses scènes de sexe très explicites ». Se rappelait-il seulement ce qu’est un adolescent de 15 ans et de ce que sont ses préoccupations ?
Cette décision a suscité des débats sur la liberté de création et la protection de l’enfance et a vu s’élever un grand courant d’indignation, porté notamment par l’auteur Nicolas Mathieu.
« On imagine que ce geste s’est opéré sous l’influence de quelque organe de pression réactionnaire. […] À 15 ans, on aime et on désire comme des dingues. La littérature a quelque chose à dire de ces états. Le fait de permettre l’émergence de textes qui irriguent cette libido et l’accompagnent ne peut en aucun cas être confondu avec un abus. La protection des mineurs, évidemment nécessaire, ne peut sombrer dans cette sorte de puritanisme imbécile et opportuniste. » Nicolas Mathieu
Outre le rôle de l’État, une censure sociale.
Avec le pouvoir croissant de la parole publique (et des réseaux sociaux), tout un chacun peut se faire censeur. Non dans le sens d’interdire formellement la publication d’un ouvrage, mais d’en limiter l’accès. Nous pouvons parler de censure sociale dès lors que des organismes divers s’entendent pour limiter la diffusion d’une œuvre. C’est le cas par exemple de l’œuvre de Gabriel Matzneff.
Cet auteur a longtemps publié des ouvrages, dont certains relatent ouvertement ses relations avec des mineurs. Ses textes sont aujourd’hui largement dénoncés pour leurs apologies implicites de la pédocriminalité. Une réévaluation majeure de son œuvre a été opérée en 2020, à la publication du Consentement de Vanessa Springora, dans lequel elle lève le voile sur la manipulation et les abus subis lorsqu’elle était adolescente de la part de cet auteur.
Ses écrits ne sont pas à proprement parler censurés par l’État mais son éditeur (Gallimard) ne les publie ni ne les distribue plus (alléluia).
Cette notion de censure sociale flirte parfois avec la diffamation, attention à ne pas s’y méprendre. S’affirmant sous le nom de cancel culture, c’est d’ailleurs une arme massivement utilisée par l’extrême-droite pour imposer son idéologie.
La censure, ennemie de la liberté d’expression ?
Cette fameuse sacro-sainte liberté portée en étendard par X, Meta et autres adeptes du MAGA (on y revient) pour ne plus censurer les discours haineux…
C’est oublier que la liberté d’expression s’arrête là où commence la diffamation, l’appel à la haine et à la violence. Elle n’est pas absolue et s’inscrit dans un cadre qui va plus loin que la liberté de nuire.
La Déclaration des droits de l’homme est pourtant plutôt claire :
Article 10 — nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi.
Article 11 – La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.
(Je vous renvoie à cet article pour l’historique autour de cette mesure et de la censure en France.)
La liberté d’expression a donc une limite claire : le cadre de la Loi.
(Même si certains se plaisent à vouloir nous le faire oublier.)
Mais qui édicte la loi… ? 🫠
Glissement de terrain… Et si la politique de la haine s’imposait en France ?
(Comme le sont la plupart des grands groupes d’édition aujourd’hui. 🫢 Pour info en passant, du 29 janvier au 2 février, un appel à lutter contre l’empire Bolloré a été lancé.)
Contrôle des publications et des récits contestataires, interdiction de certains ouvrages dans les écoles, réécriture de l’histoire… Les défis seraient nombreux et affolants.
On préfère ne pas y penser ou on organise la résistance et les clubs de lecture dissidents dès maintenant ? 🤓
Dystopie, les livres interdits sous un régime fasciste en France 🫥
Je me suis angoissée sur des sites peu recommandables (ma dévotion est sans bor(g)ne…) pour imaginer quelles œuvres littéraires françaises pourraient en premier lieu être censurées (dans les écoles, dans les médias, dans les algorithmes, dans la diffusion faite par des maisons d’édition sous contrôle…),si la politique de la haine l’emportait.
Ceci est un “jeu” fictif ; je ne suis pas pointue sur chacun de ces sujets mais voici quelques idées de titres, éminemment importants à lire donc, en guise de reco. Je compte sur vous pour compléter en commentaire. ✊
Arrêt de l’immigration
Les récits d’exil et d’immigration, humanisant les migrants et mettant en lumière des conflits identitaires ou de bi-nationalité pourraient être interdits ou restreints.
👉 Petit Pays de Gaël Faye, l’Odyssée d’Hakim de Fabien Toulmé (BD), Rapatriement d’Eve Guerra…
Islamophobie
Les histoires mettant en lumière l’Islam, via notamment la stigmatisation des musulman·es ou l’expérience des personnes issues de la diaspora des anciennes colonies pourraient être interdits ou restreints pour l’image nuancée et juste qu’ils en communiquent.
👉 Comment peut-on être français de Chahdortt Djavann, Vivants de Mehdi Charef, Une fille sans histoire de Tassadit Imache, Désorientale de Négar Djavadi…
Soutien aux énergies et industries polluantes
Le climatosceptisme n’ayant pas de limite, pourquoi donc publier des ouvrages sur ce sujet ? Chut, laissez-nous tranquille avec ces histoires angoissantes !
👉 Le changement climatique expliqué à ma fille de JM Jancovici, Pour un soulèvement écologique de Camille Étienne, Cabane d’Abel Quentin…
Vision rétrograde de la femme
Le féminisme, pour quoi faire ? (… 🤦♀️)
👉 King Kong Théorie de Virginie Despentes (et toute son oeuvre), Au non des femmes de Jennifer Tamas, le temps des féminismes de Michelle Perrot et Eduardo Castillo, et pourquoi pas (comme dans certains contés américains) les Culottées de Pénélope Bagieu…
Rejet des questions de genre et de sexualité
Les vécus LGBTQIA+ et les interrogations sur le genre pourraient être silenciés pour ne surtout pas entretenir ce démon qui rode (Oui… 🤦♀️).
👉 En finir avec Eddy Bellegueule d’Édouard Louis, le génie lesbien d’Alice Coffin (et toute son oeuvre), Un appartement sur Uranus de Paul B. Preciado, Strange de Geneviève Damas…
Et si vous voulez des angoisses plus actuelles encore, jetez un oeil du côté des livres interdits par certains états américains : des idées ici !
Je retourne chercher le salut dans les livres, prenez soin de vous et de votre mental et à dans deux semaines pour de nouvelles explorations littéraires. 👋
Julia
Ton avis m’est précieux, merci à ceux et celles qui ont consacré (et qui consacreront) quelques minutes à ce rapide questionnaire.
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Si tu souhaites rejoindre le cercle de lecture de la newsletter, tu trouveras plus d’infos par ici.
Pour aller plus loin : https://www.francetvinfo.fr/societe/etats-unis-la-guerre-culturelle-des-livres_6826196.html ; https://www.courrierinternational.com/article/culture-le-livre-le-plus-censure-dans-les-biliotheques-americaines-est
La lecture de ta newsletter est glaçante, mais tristement nécessaire. Au-delà de la censure (que l'on pourrait voir arriver en France, même si le fait de ne pas être un état fédéral nous aide en ce sens - pour l'instant), cela me fait réfléchir à la manière dont nous lecteurices sommes manipulées par les grands groupes qui poussent des livres et nous font croire que ce sont eux qui dominent le paysage littéraire ou reflètent une réalité alors qu'ils participent à la façonner.
Bref, tu m'as plongée en dystopie, Julia !
Toujours un talent pour l'écriture et trouver des sujets passionnants, Julia !