Faut-il lire local ?
À quoi bon lire des livres étrangers quand on a une telle production en France ? Avec une tribune de Cocoagost sur la littérature hispanique et latino-américaine.
Bienvenue dans cette 27ème édition de Aux livres, etc. 📚
Pour celles et ceux qui viennent de nous rejoindre, on aborde toutes les deux semaines une thématique liée à la littérature et à la lecture.
Ici, on se penche davantage sur l’acte de lire que sur celui d’écrire, en se situant du côté des lecteurs et lectrices.
Mon objectif : redonner une place de choix aux livres dans nos vies, arpenter le monde littéraire sans se prendre au sérieux, ouvrir le dialogue et échanger des recommandations.
Retrouve la genèse du projet par ici pour en savoir plus.
Et si pour s’ouvrir à d’autres cultures, pour comprendre le monde, la clé était dans les livres ?
Si on me demande mon avis, la clé est toujours dans la littérature mais je dois bien admettre, quand je regarde ce que j’ai lu en 2023, que je laisse aussi davantage de place à la création contemporaine française.
Huit titres étrangers dont deux classiques apparaissent sur ma liste, soit 10 % à peine de mes lectures, et pas parmi les plus mémorables, je dois le reconnaître.
J’ai bien décidé d’y remédier et de m’ouvrir à d’autres univers en injectant plus de romans étrangers dans ma pile à lire. Et force est de constater que ce n’est pas facile compte tenu du nombre de parutions françaises qui me font de l’œil…
Dans le fond, à quoi bon se tourner vers les romans étrangers quand on a une production si florissante en France et si peu de temps pour lire ?
Si quelqu’un souhaite me financer à plein temps pour lire, toute contribution bienvenue ! 😇
Ce questionnement m’a amenée à la newsletter d’aujourd’hui où l’on explore la littérature étrangère en France, avec un focus hispanique 💃
La littérature latino-américaine a-t-elle le vent en poupe ?
Chaque année, le Booker Prize International salue un roman qui se démarque au niveau mondial. Aucun Français en lice cette année mais une belle place donnée à la fiction latino-américaine (un quart des auteur·ices sélectionné·es — la liste complète ici).
Pourtant, en France, la littérature étrangère est à la peine.
(Source : le Monde)
Ou la littérature tout court, devrait-on dire, avec une baisse de 4 % du nombre d’exemplaires vendus en 2023…
Mais ce recul est lié en particulier à une chute de 10 % de la littérature étrangère contemporaine, hors « romance », ces romans sentimentaux qui connaissent, eux, un net succès.
« En une décennie, les ventes de fictions modernes étrangères ont diminué de 25 % »
Sandrine Vigroux, Gfk
Si les ventes reculent, la parution de romans étrangers en France s’étiole également depuis des années.
En cause : difficulté médiatique, coût plus élevé de production (achat de droits et traduction) sur un marché déjà plutôt morne.
« Publier de la littérature étrangère, c’est un peu la double peine : plus de coûts, moins de médias » Laure Leroy, directrice de la maison d’édition Zulma.
Mais les lecteur·ices ne voient-ils pas ce que cela sous-entend ?
Si les maisons d’édition sont particulièrement sélectives sur l’offre étrangère, compte tenu des coûts importants pour des ventes moindres, nous n’aurions donc accès en langue étrangère qu’à la crème de la crème de la littérature d’un pays. (Ou aux meilleures ventes, ce qui veut dire autre chose, je vous l’accorde).
Quelques titres tirent chaque année leur épingle du jeu malgré tout mais ils restent bien souvent américains ou européens. Néglige-t-on les autres cultures ? Ne s’ouvre-t-on qu’aux univers qui nous sont déjà familiers ?
Relativisons également avec la force qu’ont les mangas en France.
Le livre qui cache la forêt ?
Le constat des études du CNL laisse plutôt apercevoir que quand la lecture recule au global (au profit des contenus en ligne), c’est la littérature étrangère qui en est la première victime.
L’article du Monde à la source de ces réflexions soulève un repli de la France sur elle-même qui irait plus loin que la littérature. Sans surprise et sans commentaire… Mais qui de la poule ou de l’œuf ?
Pour ouvrir la porte à de nouveaux horizons littéraires, j’ai décidé d’offrir une tribune ici à Cocoagost.
J’ai découvert son compte Instagram dans la newsletter de Louise Hourcade. Coco y présente des livres espagnols ou latino-américains, une littérature que je connais très peu et que je suis ravie de suivre davantage grâce à elle.
Je laisse donc la parole à Cocoagost qui nous explique ce qui l’a amenée à lire principalement des romans espagnols ou latino-américains, et ce qu’elle y a trouvé.
Avant de m’intéresser à la littérature espagnole et latino-américaine en particulier, je me suis mise à lire en espagnol. Je vivais à Barcelone depuis plusieurs années et je continuais à lire des romans en français, ce que j’ai fini par trouver dommage. J’ai commencé à lire en espagnol des romans qui n’étaient pas nécessairement écrits par des auteur·ices espagnols ou latino-américains, pour m’entraîner à lire de plus en plus en espagnol. Par exemple, au lieu de lire un livre de Paul Auster en français, je le lisais en espagnol.
Plus j’ai fait ça, plus je suis entrée dans les librairies à Barcelone, et plus j’ai constaté que l’offre était alléchante. J’ai eu le déclic avec le roman Années lentes, de Fernando Aramburu.
Je me suis rendu compte que pouvoir lire en espagnol me donnait l’occasion de connaître toute une littérature qui n’est pas forcément traduite en français. Par la littérature, on en apprend beaucoup sur les cultures, en l’occurrence ici sur celles d’Espagne et d’Amérique latine.
Ce qui m’a particulièrement frappée, c’est la place donnée aux femmes dans la littérature espagnole et latino-américaine, peut être même encore plus dans cette dernière. Il y a énormément d’autrices qui sont publiées, et leurs romans traitent souvent de la condition des femmes. Je pense que plus les femmes doivent se battre pour faire reconnaître leurs droits, et plus leur littérature est crue, courageuse, et sans filtre. Je remarque également que de nombreux romans traitent en toile de fond (ou même en sujet principal) de sujets politiques et des conséquences sur les populations. En Espagne, il y a toute une littérature qui traite de ETA (ndlr : organisation basque indépendantiste), par exemple. Des pays comme le Mexique, Cuba, ou le Venezuela vont proposer une littérature teintée de politique et de ses conséquences.
J’aime ce mélange-là. Cette littérature est à mon sens capable d’évoquer des thèmes très compliqués, tout en te chuchotant « que veux-tu, on est là, on est vivant, on continue ! ».
J’ai aussi l’impression (mais je me trompe peut-être !) que les maisons d’édition de ces pays rechignent moins à publier des romans un peu plus étranges, plus originaux, parfois plus lents, qu’en France.
Même si j’aime beaucoup lire et faire découvrir la littérature espagnole et latino-américaine, je suis consciente que chacun de ces pays est unique et qu’il n’y a donc pas UNE littérature, même si la langue est la même. J’ai lu plus de romans espagnols, mexicains et argentins, que de romans uruguayens ou chiliens, par exemple. Je crois que c’est une question de publicité, pas nécessairement de production. Les écrivains existent, leurs livres sont publiés, mais ils n’arrivent pas facilement jusqu’à nous. Je suis toujours très contente de découvrir un nouvel auteur dont je n’avais jamais entendu parler.
Depuis que j’ai ouvert mon compte Instagram, j’ai découvert qu’un nombre assez conséquent de romans écrits en espagnol ont été traduits au français. Ce qui m’attriste, c’est le peu de publicité qui est accordée à ces romans traduits. Je suis sûre que les lecteurs français, que je pense sincèrement curieux, aimeraient découvrir ces ouvrages, et c’est ce que je me propose de faire.
La suite sur le compte Instagram Soycocoagost, si vous souhaitez aussi vous ouvrir à des textes aux accents espagnols, découvrir de nouvelles cultures et des manières d’écrire différentes.
Une autre contrée littéraire qui me fait de l’œil : le Québec ! Et ça tombe bien, c’est le pays invité au festival du livre de Paris début avril. Je m’en réjouis d’avance. Si d’ici là tu as des recommandations de romans de ce pays à me partager, je suis preneuse. 🤓
Affaire à suivre !
Les recommandations de Coco, entre classiques et romans contemporains
Là encore, je laisse la parole à notre invitée du jour.
Si l’on parle de classiques espagnols et latino-américains qu’il « faut » avoir lus, je dirais : Fernando Aramburu et Almudena Grandes pour l’Espagne 🇪🇸, Leonardo Padura pour Cuba 🇨🇺, Roberto Bolaño pour le Chili 🇨🇱, et Mariana Enriquez pour l’Argentine 🇦🇷, en ce qu’ils représentent chacun une véritable voix, soit en tant que représentation culturelle de leur pays, soit en termes de style littéraire.
Pourquoi tu revenais tous les étés ?, Belén López Peiro
Pour toutes les femmes victimes de violences sexuelles, et pour toutes celles et ceux qui veulent en savoir plus sur ce sujet presque tabou. Il s’agit d’une non-fiction polyphonique crue et violente qui raconte la difficulté de parler et de se faire entendre quand on a été abusé enfant par un membre de sa famille.
L’autrice est une journaliste et écrivaine argentine, née en 1992.
L’invincible été de Liliana, Cristina Rivera Garza
Là encore il s’agit d’une œuvre de non-fiction, qui est à mon sens la formidable prise de parole d’une femme en hommage à sa sœur assassinée par un ex-compagnon il y a trente ans. Le manque de sa sœur, et la tendresse éternelle qu’elle lui voue, mêlées à la chronologie d’une mort annoncée donne un livre assez unique en son genre, car la superposition de ces deux « atmosphères » montre exactement ce qu’est un féminicide.
Cristina Rivera est née en 1964. Elle est mexicaine et vit aux États-Unis, où elle écrit et enseigne à l’université.
Instructions pour sauver le monde, Rosa Montero
Un roman à la thématique en apparence plus douce, puisqu’il s’agit d’une entrée dans la vie quotidienne de quatre personnages un peu malmenés par la vie, qui n’ont apparemment rien en commun mais dont les destins vont être mêlés.
Rosa Montero, née en 1951 est journaliste et écrivaine. Ses nombreux romans sont souvent des best-sellers.
Et si on me demande mon avis (Julia le retour), je mettrai en avant un des livres les plus surprenants découverts l’an dernier grâce à l’Instant, et dont j’avais parlé ici : Dernier rendez-vous avec la lady.
Fort à parier aussi que le roman inédit et posthume de Gabriel Garcia Marquez qui parait ces jours-ci ne laissera pas les lecteur·ices français indifférents (moi y compris !).
J’espère vous avoir ouvert de nouveaux horizons 🤓
On se retrouve dans deux semaines pour la suite. D’ici là, en français, en langue étrangère, traduit de l’espagnol, de l’anglais ou du finnois, lisez bien ! 👋
Cette édition m’a motivée pour m’acheter un livre en espagnol (en ebook, c’est un des avantages de ce format) ! J’aime beaucoup lire en VO et j’ai presque le souci inverse, je lis moins de littérature française contemporaine qu’étrangère… partante aussi pour être payée pour lire à plein temps ;)
Personnellement, c'est principalement grâce à mon beau-père qui m'offre des livres à Noël et/ou mon anniversaire que je lis de la littérature étrangère. L'an dernier j'ai lu des nouvelles de Marina Enriquez (Argentine) justement et un roman de Masako Togawa (Japon), soit 12% de mes lectures. C'est vrai que c'est peu. Autrement c'est de la littérature américaine ou britannique bien souvent.