Lire, ça rime à quoi ?
Ou, pourquoi lit-on ? (Sinon on sait tous que ça rime avec dire, accueillir, unir, embellir, ravir, cachemire et foule en délire)
Bienvenue dans cette 31ème édition de Aux livres, etc. 📚
On y aborde toutes les deux semaines une thématique liée à la littérature et à la lecture.
Ici, on se penche davantage sur l’acte de lire que sur celui d’écrire, en se situant du côté des lecteurs et lectrices.
Retrouve la genèse du projet par ici pour en savoir plus.
La dernière édition de la newsletter vous a, semble-t-il, touché. J’ai reçu beaucoup de commentaires et réactions sur celle-ci. Merci. 🙏
Notamment une lectrice rencontrée en librairie (une amie forcément) m’a signalé que sa fille de 16 ans s’est sentie soulagée par cette édition, « contente que des adultes prennent sa défense ».
Si tu l’as ratée :
Pas de coup de gueule cette fois, je reviens avec un billet d’humeur (bonjour 1998 pour la ringardise de cet intitulé), ou plutôt la poursuite de mes réflexions sur ce que lire signifie.
Si qualifier ta position de lecteur dans ce monde (qui lirait si peu) t’intéresse aussi, on embarque !
Si tu reçois cette newsletter c’est probablement parce que tu aimes lire ou que tu souhaites le faire davantage (ou parce que tu es un super ami qui me soutient dans ce projet passion 😙).
Mais pourquoi lis-tu ?
Pour passer le temps, pour apprendre, pour découvrir, pour s’évader, pour ressentir des émotions, pour le plaisir…
On commence par du lourd, la parole à Heidegger (dans Qu’appelle-t-on lire, 1954).
« Qu’appelle-t-on lire ? Ce qui porte et guide dans la lecture, c’est le rassemblement. Vers quoi rassemble-t-il ? Vers ce qui est écrit, vers ce qui, dans l’écrit, est dit. Le lire authentique est le rassemblement vers ce qui, à notre insu, a déjà réclamé notre être, que nous désirions y répondre ou nous y refuser. »
Lire serait donc plus fort que nous, une concentration impérative, un lien tendu vers ce qui nous appelle.
Que dirait notre bon vieux Martin, 70 ans plus tard, à l’heure de Netflix et de TikTok ?
Pourquoi lit-on encore des livres en 2024 ?
Selon le Bulletin des Bibliothèques de France, on lit aujourd’hui pour se distraire, beaucoup plus qu’avec le souci de s’instruire.
Mais ce divertissement, l’évasion, les émotions, on pourrait les ressentir par d’autres moyens ; alors pourquoi lire ?
Pour la sensation des yeux et des doigts qui se baladent sur le papier.
Pour le calme, le temps suspendu.
Pour l’immersion dans les mots d’un·e autre.
Pour prendre le temps de saisir.
Pour le style que produisent des mots, des signes, caractères d’impression mis bout à bout.
Par tradition aussi, notre culture joue un grand rôle là-dedans.
Ou « lire les autres pour se lire soi-même » (pour Hobbes dans le Léviathan).
Ce serait un peu comme se demander pourquoi on mange des glaces finalement ? 🍦 Parce que ça existe, tout simplement ?
Il n’y a pas de réponse toute faite ni universelle en matière de lecture.
Chacun a ses propres raisons d’aimer ça (comme la Ben & Jerry’s cookie dough), de choisir ce média, cette expérience plutôt qu’une autre (j’attends toujours qu’on m’explique pour les Häagen Dazs fruit collection).
Il y en a pour tous les goûts, que ce soit avec de la grande littérature (👋 les glaciers florentins) ou des page-turners efficaces (personne n’a jamais craché sur un petit Sundae au caramel).
C’est quoi ton kif à toi ?
Si tu ne t’es jamais posé la question, comprendre pourquoi on aime lire et ce à quoi on est sensible en littérature est une aide précieuse.
Cela permet de choisir ses lectures en s’orientant vers des livres qui ont plus de chance de te plaire, te toucher, et te faire adorer encore plus cette activité.
Pour moi, c’est une question de rythme, de sensation, être saisie par des mots choisis précisément. Découvrir une histoire abordée de manière originale, sensible, palpitante ou divertissante. Accéder à un point de vue sur le monde ou sur une époque.
Rien ne me permet cela mieux que la littérature.
(Même pas les Häagen Dazs Nut brittle.)
Pour d’autres, ce sera peut-être la musique, le cinéma, des jeux de rôle… Un peu de tout cela. Encore une fois, il n’y a pas qu’une seule réponse à nos besoins de divertissement, d’explorations et de communion avec les autres.
La littérature contribue à faire de nous, lecteurs et lectrices, ce que nous sommes, ce que nous comprenons, ce que nous retenons et ce que nous pensons.
Elle infuse nos imaginaires, nos sensibilités, notre perception du monde et d’autrui.
Lire fait tout bonnement de nous des personnes idéales, tout lecteur sait cela ! 🤓
Lire, se dire lecteur, donne aussi une image de soi désirable, validée.
Cela fait écho à la dernière newsletter, la lecture reste rattachée à une activité intellectuelle et plutôt bourgeoise, qui positionne la personne qui lit comme socialement élevée.
Dans les faits, on en est loin. On est lecteur à 7 ans avec Anatole Latuile, autant qu’à 13 avec Harry Potter et qu’à 20 ans avec Chateaubriand.
J’étudiais déjà ce que lire dit de nous dans la onzième édition de cette newsletter juste ici.
J’y abordais notamment le miroir social de la lecture et le snobisme du monde des lettres en France. Des artefacts avec lesquels en finir pour pouvoir assister à une réelle démocratisation (ou devrais-je dire normalisation) de la lecture.
La littérature, miroir (et moteur ?) de la société
C’est ce que souligne le CNRS et la recherche en littérature.
Les œuvres littéraires jouent aussi un rôle déterminant dans l’évolution de la société, par des récits qui éveillent les consciences et participent aux évolutions des mœurs. On pense par exemple au Consentement de Vanessa Spingora, à Triste Tigre de Neige Sinno plus récemment ou à des romans au pouvoir symbolique comme 1984 d’Orwell.
La littérature est passée à travers le temps de textes sacrés, à des textes d’enseignements puis de style ou de divertissement.
Au XXe siècle c’est le réel qui prend une place importante dans les récits, avec l’avènement des témoignages, du récit de soi et de l’autofiction, à tel point que certains parleraient de crise de la fiction.
Au-delà de ce que cela interroge sur le récit, les manières d’écrire (et de publier), les mots, la lecture ont le pouvoir d’impacter le monde. Littérature et société évoluent en miroir.
Ce qui compte ce n’est pas tellement de raconter sa vie, mais que ce qu’on raconte ait un effet sur sa vie, ou celle des autres. (Ou quand je m’autocite parlant de l’autofiction)
Pourtant, la fiction, les histoires restent bien présentes dans la production littéraire, comme en témoigne notamment le top ventes du moment (policier, fantaisie, feel good...).
Nous sommes parvenus à une cohabitation de genres multiples qui répondent aux différentes attentes et besoins des lecteur·ices, et font la richesse de la littérature (quelle qu’en soit sa définition).
Comme chez son glacier préféré (et ça sera la fin de mon obsession du jour), on doit bien faire un choix entre miel-nougat et sorbet melon, mais on sait qu’on a tout l’été (et les mois de déprime qui suivront) pour y revenir et varier les plaisirs ! 🍧
Lire, c’est à la fois s’évader et être en prise avec la réalité.
C’est le rêve et l’époque en mouvement. C’est le trivial comme le plus extraordinaire. C’est Othello et Agatha Christie, Lucien de Rubempré et Bartleby le scribe, Despentes en son domaine… C’est les larmes qui s’écrasent sur une page et les grandes révolutions en marche.
Il y a tout ça dans la littérature.
Alors pourquoi lire ? Pour vivre tout simplement.
(En finissant le pot de sorbet au chocolat. 😘)
Pour tirer le fil…
La manière dont on lit doit-elle influer sur ce qui est publié ?
Doit-on éditer des livres dans le souci des lecteurs ou dans celui de la littérature ? Se soucier des chiffres ou de la postérité ? Quel juste milieu trouver pour un éditeur ?
Je suis une militante de l’abondance, de la richesse, je me réjouis des 400 et quelques parutions de la rentrée littéraire, mais est-ce bien sérieux ? Peut-on encore se le permettre ?
Ces questions m’ont accompagnée dans la lecture de l’Éditeur de Capucine Ruat que j’ai adoré.
Le sujet est pourtant assez confidentiel, l’autrice (et éditrice) dresse le portrait de l’éditeur (et auteur) Jean-Marc Roberts, ponte de ce milieu qui a notamment donné ses lettres de noblesse aux éditions Stock et fait émerger de nombreux auteurs et autrices (Vassilis Alexakis, Brigitte Giraud, Aurélie Filippetti, Colombe Schneck… pour ne citer qu’eux).
Capucine Ruat retrace le parcours de cette star de l’édition de manière si habile, en entremêlant archives, entretiens et mise en récit de sa propre expérience d’éditrice aux côtés du maître.
C’est une histoire de l’édition qui prend des risques, des hommes et femmes qui misent sur des auteurs et les accompagnent. Une histoire de l’édition qui a sa table chez Lipp et négocie des à-valoir sur un coin de nappe. D’éditeurs qui lisent en fumant des cigarettes dans des canapés en velours. Une histoire de passionné·es qui entretient un mythe suranné et désuet mais sans faux semblants, plein de charme et juste.
J’ai aimé ce livre parce qu’il corrobore des clichés qui me fascinent et m’effraient à la fois, entre la rue Jacob et le café de Flore. Et pourtant il n’a rien de bourgeois ce roman. Il transpire l’amour des mots, les silences, absorbés dans les textes, les intuitions, les risques et les paris pris sans bruit ni fracas.
Ça marche, ça marche pas, c’est le jeu et c’est toujours la littérature qui gagne.
Bon, comme tu l’auras compris, c’est plutôt un roman de passionnée de littérature, qui intéressera avant tout les grands et grandes lectrices, mais aussi celles et ceux qui s’interrogent sur la chaine du livre ou sont curieux de percer les coulisses du monde de l’édition.
« Un livre, ça doit me donner envie d’écrire et de vivre. J’aime les livres qui dérangent. Je ne suis pas le seul. J’aime moi-même déranger. Je dirais même que j’adore énerver, surtout ce milieu. »
Jean-Marc Roberts, sous la plume de Capucine Ruat
Aparté ⭐️ appel à témoignages et contacts
Si ce livre apporte des clés de lecture sur la question de l’édition, j’aimerais aborder ces sujets avec des éditeurs et éditrices de tous bords pour aller plus loin dans mes investigations.
Si tu es dans l’édition ou as ce type de contacts, fais-moi signe stp en répondant tout simplement à ce mail ou par message privé Linkedin / Substack / Instagram 😊
Sur ce, que vous lisiez pour apprendre, pour le plaisir, pour découvrir le monde ou pour apprivoiser le temps, bonnes lectures !
Et à dans deux semaines pour de nouvelles explorations livresques👋
Un de mes amis m’a dit qu’il lisait des romans policiers pour ne pas avoir à lire l’actualité et j’ai beaucoup aimé cette définition
Lire permet de voyager , se cultiver , enrichir son esprit , remplir la tête et le cœur d’images !
Lire facilite le fait d’écrire , permet de trouver les bons et beaux mots !