Ma vie de lectrice, chapitre 2
Bilan de mes lectures du deuxième trimestre ; quelques idées pour l’été.
Bienvenue dans cette 35ème édition de Aux livres, etc. 📚
Ici, on se penche davantage sur l’acte de lire que sur celui d’écrire, en se situant du côté des lecteurs et lectrices, avec toutes les deux semaines une thématique liée à la littérature et à la lecture. Retrouve la genèse du projet par ici pour en savoir plus.
Et bienvenue aux nouvelles et nouveaux abonnés qui ont rejoint la newsletter ces dernières semaines.
Cette édition fait partie des hors-séries récurrents, dans lesquels je reviens sur les livres que j’ai lus, aimés, ceux que je déconseille (c’est plutôt rare) ou que je recommande.
Il est probable que ce mail soit trop long, ouvre-le dans ton navigateur pour le lire en entier si tu constates qu’il est brutalement coupé (je ne te quitterais jamais comme ça).
Si cette revue de lecture ne t’intéresse pas particulièrement, on se retrouve dans deux semaines avec un avant-goût de la rentrée littéraire.
En préambule, quelques conseils plus généraux, mes incontournables, plus ou moins récents, filmés par Sandrine à la librairie L’Instant.
Alors j’ai lu quoi ces trois derniers mois ?
Pour relire le bilan du premier trimestre. J’y avouais n’avoir pas lu grand-chose de renversant, ça a (fort heureusement) un peu évolué depuis.
Les candidats pour le prix de la librairie l’Instant
Chaque année je découvre grâce à ce prix des pépites passées inaperçues (et il semblerait que ce soit bien là sa vocation), ça n’a pas manqué cette année.
La lauréate, un moment magique et prenant
Le ciel en sa fureur, Adeline Fleury
J’en avais déjà parlé ici ; félicitations à Adeline Fleury pour ce beau prix !
Mon coup de cœur de la sélection
Lésions, Baptiste Thery-Guilbert
Baptiste Thery-Guilbert nous entraine, avec ce deuxième roman, sur les traces d’un amour homosexuel adolescent, fuyant, contrarié, sur fond de troubles épileptiques. Il offre une grande place aux questions intimes, queer, au désir, et également à Marseille et à la politique de la ville.
Si le sujet m’a touchée, j’ai aussi été séduite par l’approche originale, la dimension expérimentale du texte, sans ponctuation, cultivant une forme d’essoufflement, une prose qui joue beaucoup sur le rythme.
Mais n’ayez surtout pas peur de ce mot, expérimental, ce livre reste très accessible.
“si l’amour caché dissimulé refoulé est un sujet d’écriture aussi important c’est qu’il faut trouver les mots pour dire enfin tout ce qui a été mis sous silence de manière sournoise fourbe de la pire des façons par l’autre et par soi-même par l’emprise de l’autre qui impose ce silence l’autre qui souffre du regard qu’on porte sur ça cette énormité (je suis un garçon, j’aime un garçon)”
Regard franc et sincère sur la domesticité
Georgette, Dea Liane
Dans ce premier roman, l’autrice dévoile sa relation à celles qui l’ont élevée, sa mère et la « bonne » (puisque c’est le mot consacré), Georgette qui offre une figure de seconde mère. Récit tendre, sensible et intime, c’est en nous ouvrant la porte de sa famille que Dea Liane nous amène à nous questionner sur les rôles de subordination domestique.
J’ai apprécié la sincérité de ce récit, la quête de sens de l’autrice, sans que ce ne soit ni moralisateur ni emprunt de culpabilité.
Une échappée parfois contemplative dans les Pyrénées
Hors d’atteinte, Marcia Burnier
Après avoir vécu une relation d’emprise, Erin quitte la ville avec son chien, direction les Pyrénées. Elle s’isole, gravit des montagnes, hiberne, s’accoutume à la vie locale, cultive son jardin. Sa fuite est une échappée, un moyen de ne plus subir, de se confronter à soi pour mieux se reconstruire.
C’est un roman poétique et doux, plein de sensorialité et qui offre une large place à la nature. Pourtant, j’en suis restée plutôt à distance. Peut-être à cause de la narration externe qui m’a coupée de l’aspect solitaire et introspectif. Peut-être par sa dimension parfois contemplative. Je n’ai pas réussi à me laisser embarquer par le rythme de ce qui est tout de même un beau roman.
Un flop que j’ai abandonné
Stella et l’Amérique, Joseph Incardona
Celui-là n’était tout simplement pas pour moi : trop loufoque, trop déjanté, trop cliché sous certains aspects.
Stella, prostituée, se découvre le pouvoir de guérir les hommes en couchant avec eux. S’en suit une chasse à la femme, quasiment tout en dialogue, où l’on croisera voyantes et forains, tueurs à gages, journaliste et le Pape. (Et sans doute d’autres encore après la page 100.)
Pour définir ce roman, on parle de Tarantino, des frères Coen, d’excentrique. Tu aimeras peut-être si tu es sensible à tout cela (et pas trop regardant sur les clichés narratifs et envers les femmes 🫢), pour la plupart des lecteur·ices avec qui j’en ai discuté, ça fonctionne bien.
Le Québec
Après le festival du livre de Paris (qui avait donné lieu à ce panorama de la littérature québécoise), je me suis immergée avec beaucoup de plaisir dans une dizaine d’ouvrages de ce pays, assez variés dans le style et l’approche. J’ai quasiment tout adoré. 🫶
Une merveilleuse bande dessinée, drôle et sensible
Paul a un travail d’été, Michel Rabagliati
Michel Rabagliati est la star de la BD québécoise avec sa série Paul, que je voulais lire depuis longtemps. Malgré des attentes assez hautes (ce n’est jamais bon signe), je n’ai absolument pas été déçue.
Paul, jeune Montréalais désœuvré, s’essaye à l’animation d’un camp de vacances. On y découvre la vie du camp en pleine forêt québécoise, les relations entre animateurs et avec les enfants, mais surtout l’évolution de Paul qui quitte l’enfance en un été. Que c’est touchant et subtil. Vous m’excuserez le cliché : je suis littéralement passée du rire aux larmes.
Très envie de me plonger dans la suite de la série (10 titres à ce jour, à travers les âges de Paul).
Une vie de femme en pleine révolution culturelle québécoise, instructif et passionnant
La femme qui fuit, Anaïs Babeau-Lavalette
Dans le Québec des années 40, Suzanne Meloche abandonne ses enfants pour vivre pleinement sa passion de l’écriture ; une petite histoire, inscrite dans la grande.
Cette femme immensément libre, qui ne pense qu’à vivre et qu’à écrire, n’est autre que la grand-mère de l’autrice. Elle a été actrice et témoin de la révolution (notamment culturelle) du Québec après guerre.
J’ai beaucoup aimé cette porte d’entrée sur l’histoire (des hommes et des lettres) québécoise, avec une construction fragmentaire très réussie. C’est magnifique et terrible à la fois.
Deux recueils de nouvelles féroces, vives, furieuses.
Férocement humaines, Julie Bouchard
Quelle force dans ces nouvelles ! Gros coup de cœur. ❤️🔥
Julie Bouchard explore la chute de femmes à travers ces courtes histoires. Style cash, vif, malin, l’autrice jongle habilement avec les mots et joue avec la langue. Elle conclut en beauté par une nouvelle originale dans laquelle elle retrace une chronologie de grandes autrices en regard avec l’histoire des femmes de sa famille.
La mort de Mignonne et autres histoires, Marie-Hélène Poitras
Ces nouvelles percutantes sont plus sombres, l’autrice flirte avec le glauque mais reste toujours sur le fil, avec un style épatant.
Il y est, entre autres, question de renardes à trois pattes, d’hommes et de chevaux qui aimeraient briser leurs chaines, d’adolescents grunge et de beauté brulée.
Il n’y a pas à dire les Québécoises manient à merveille l’art de la nouvelle ! 🫶
Un regard tendre sur le monde des travestis montréalais
La Shéhérazade des pauvres, Michel Tremblay
C’est à travers la figure d’Hosana, vieux travesti haut en couleur qu’on découvre un univers plein de paillettes mais immensément violent, le milieu queer des années 1970 à Montréal. L’auteur a dépeint ici un personnage magnifique, aussi alcoolique qu’attendrissant, aussi seul que cynique et totalement attachant malgré sa hargne contenue.
Le sous-titre « roman à bâton rompu » illustre bien le ton et le style de ce livre, discussion-fleuve entre Hosana et un journaliste qui s’intéresse à son âge d’or. Une lecture rapide et envoutante, aux allures de nouvelles.
A couper le souffle !
Prendre son souffle, Geneviève Jannelle
Sandrine de la librairie l’Instant (encore elle 😃) m’a conseillé ce roman pendant mes explorations québécoises et elle a visé juste. Et pourtant, je ne serai pas allée spontanément vers lui.
C’est une histoire d’amour, un amour si fort qu’on ne s’en défait pas, même quand l’avenir est compromis. Il n’est pas évident d’en parler sans trop en dire. C’est un sujet poignant et dur mais traité avec brio et beaucoup de justesse. Il est impossible de ne pas craquer pour ces deux personnages, de ne pas être saisi par ces deux vies. Un très beau roman, à lire (le cœur bien accroché) !
Si au théâtre, la pièce Oublie-moi t’a plu, tu aimeras aussi (c’est du même bois, sans être le même sujet).
De la poésie qui ressource
Mes forêts, Hélène Dorion
Comment parler de poésie ? La poétesse dépeint dans ce recueil son rapport à la forêt et à la nature.
Comme souvent, il y a des choses qui touchent et d’autres moins. Je n’arrive pas encore à ne pas lire les recueils de poèmes comme des romans, ce qui rend plus complexe la possibilité de se laisser émouvoir.
Je me suis ici arrêtée sur plusieurs textes, marquée par le rythme, le souffle, la vie qui s’en dégage. Ils sont d’une grande force, et le fil rouge écologique est ô combien nécessaire.
Et c’est la première écrivaine vivante à être étudiée au bac français, rien que pour ça, il faut la lire non ?
Comment parler de poésie ? Le mieux reste peut-être de la partager.
Le silence
si je marche
avec les ombres de ma vie
comme de lourds oiseaux
qui dévorent les promesses
suis-je l’arbre suis-je la feuille
grugée par les saisons
je ne sais pas
ce qui se tait en moi
quand la forêt
cesse de rêver
Lecture moins mémorable
Est-ce qu’un artiste peut être heureux ?, Arizona O’Neill
En BD, l’autrice (réalisatrice et illustratrice, figure montréalaise, que je ne connaissais pas) partage ses entrevues avec des artistes québécois qu’elle interroge sur le sens de la vie, sur le bonheur.
J’ai lu ce court livre graphique comme un petit divertissement qui a eu le mérite de me faire découvrir de nouveaux artistes de ce pays ; la réflexion m’a semblé superficielle et ne m’a ni touchée ni tellement fait réfléchir. Je n’y vois pas d’autre intérêt si comme moi vous ne connaissez ni l’autrice ni ses invités.
Colombie pour le cercle de lecture
Ces deux romans ont été lus dans le cadre du cercle de lecture de la newsletter (si tu veux rejoindre le prochain, nous partons en Inde et il restera peut-être quelques places, écris-moi en réponse à ce mail). Je me permets de livrer aussi le ressenti global des participant·es.
Je réalise en titrant ces deux avis que leur force est assez diamétralement opposée.
Léger mais si bien écrit, à lire (au moins) pour le premier chapitre
Nous nous verrons en août, Gabriel Garcia Marquez
J’ai été charmée par ce livre, c’est vraiment le mot. Son ambiance suave et tropicale. L’indolence de la narratrice.
Ana Magdalena se rend tous les ans sur la tombe de sa mère, l’occasion d’un voyage seule, en bateau qui va donner lieu à de nouvelles rencontres sensuelles tous les étés. On assiste au basculement dans la vie d’une femme. Quand l’imprévu vient chambouler les habitudes. Une différence, un presque rien, qui va tout changer.
Le premier chapitre est particulièrement magique d’empressement et de sensualité (tout le monde en a noté le brio.)
Plus qu’un roman, on est tenté de dire que cette œuvre inachevée est un brillant premier jet sans peaufinage, un beau texte en germe, ou, mieux, une nouvelle très plaisante. On ne peut s’empêcher de le lire avec la douceur et l’indulgence qu’impose le titre posthume d’un grand génie dont le sens de la narration est inébranlé.
Personne n’a eu de réel coup de cœur mais on a plutôt tous passé un bon moment.
Un roman crescendo qui finit par un uppercut
Vers la mère, Lorena Salazar
J’ai eu du mal à rentrer dans ce roman, aussi lent que la remontée du fleuve Atrato en pirogue, voyage entrepris par une mère adoptive et son fils, pour retrouver la mère qui lui a donné naissance.
La langue est belle, le style net et poétique à la fois, l’atmosphère bien retranscrite. Parfois le roman me perd, impatiente. Comme la sensation qu’il y a un voile pudique sur tout et qu’on est tenu à l’écart. Mais l’histoire monte en puissance, avec force, elle gagne en ampleur, les menaces rodent, jusqu’à un final éclatant, remuant, bouleversant. Cette fin, dont je ne peux bien sûr rien dire, chamboule et remet tout en place.
Outre les questions sur la filiation, c’est un portrait vibrant de cette région méconnue du Choco et des habitants installés le long du fleuve Atrato que l’autrice nous livre ici.
La fin m’a totalement séduite et m’amène à recommander ce roman, mais je dois indiquer qu’il n’a pas été du goût de toutes, lors du cercle de lecture. Les avis divergent sur ce livre dont certaines ne garderont en mémoire que la douce atmosphère de la remontée du fleuve, la sensorialité qui émane de ce voyage.
Peut-être y trouve-t-on finalement ce que l’on cherche ?
Le Maroc
Lectures dans le cadre de la précédente édition de la newsletter, sur la littérature marocaine.
Un beau roman pour dire le moche et la misère
Les enfants des rues étroites, Abdelhak Serhane
Ce roman, à travers l’histoire de deux amis, dévoile la misère des habitants des petites villes, desquelles les hommes partent pour ne jamais revenir. Toute forme de retour est impossible, pour n’appartenir ni à cette terre ni à l’ailleurs dès lors qu’on la quitte.
Ce roman sans concessions laisse voir les vices, les désirs refoulés, la corruption, le désœuvrement, la misère et la violence. La langue est belle, mais la narration parfois sinueuse peut perdre.
Un extrait parmi tant d’autres soulignés
Des points d’interrogation brillaient dans les yeux des enfants comme des vers luisants. Pour les adultes, pour ces hommes assis là, le long des murs, l’attente d’un miracle, d’un signe du ciel. Métamorphoser la banalité du quotidien en quelque chose d’inattendu. Silence serein ou sommeil tranquille. Une bouffée d’air. En attendant, ils restaient au pied du mur, près des détritus, au milieu des excréments d’animaux.
La ville étourdie me reprenait dans ses flancs et se refermait sur moi telle une matrice.
Ce que répression veut dire
Une femme nommée Rachid, Fatna El Bouih
Fatna El Bouih, étudiante sous Hassan II, militante jugée dissidente au régime a été enlevée et emprisonnée pendant les années 70. Elle nous livre ici le récit de son enfermement, des conditions de sa détention et des dérives du régime.
Singulier par sa dimension féminine, ce récit carcéral souligne ce que le militantisme signifie et la force dont font preuve hommes et femmes pour la liberté.
Les bons moments
Un très bon divertissement, qu’on n’a pas envie de lâcher
Fantastique histoire d’amour, Sophie Divry
C’est le dernier livre que j’ai lu en juin, en plein contexte électoral donc, le cœur pas toujours à lire. Et pourtant ce roman a été parfait pour m’abstraire de l’actualité.
La narration navigue entre un inspecteur du travail qui enquête sur un accident dans une fascinante compacteuse et une journaliste scientifique qui écrit sur un étrange cristal et se retrouve mêlée à une expérience qui tourne mal.
Il y a beaucoup de choses dans ce roman, de la solitude, de l’alcool, un curé et un paquet d’oiseaux. Ça part en vrille, ça va dans tous les sens. Entre thriller et histoire d’amour, c’est tout à fait inattendu.
Ma lecture commençait mal, mignonne, gentille, quelques longueurs, je ne savais pas où l’on allait… Mais je me suis finalement vite retrouvée séduite, happée, captivée par ce roman. J’avais adoré la Condition pavillonnaire de Sophie Divry (voir ici) que je recommande plus encore ; l’autrice a ici réussi à me charmer malgré de très hautes attentes, c’est fort.
Récit de deuil, juste et tendre
Grand seigneur, Nina Bouaroui
C’est l’autrice qui m’a attirée ici. Je me suis jetée sur ce livre que je n’aurai sans doute pas regardé s’il avait été écrit par un autre.
Nina Bouraoui livre un récit intime et sensible, très personnel (parfois trop à mon goût), de la mort de son père et des semaines qui précèdent. L’autrice tisse un fil de souvenir pour laisser voir la manière dont elle s’est construite, sa relation avec son père et ce qui fait finalement son essence. Elle fixe, avec ce livre, des souvenirs, un lien.
Ce récit fort et fragile à la fois interroge le deuil et les secrets que l’on emporte avec soi, mais dit aussi ce qu’être fille veut dire quand s’arrête le cœur de son père. Un déchirement dans la continuité de la vie. Une redéfinition de qui l’on est et des rapports avec les siens.
Ce n’est pas le livre le plus mémorable de Nina Bouaraoui, mais force est de reconnaitre son style, sa plume, son sens de la métaphore et de la formule.
Découverte pleine d’humour
Les bourgeois de Witzheim, André Maurois
Courte lecture à la rencontre de Maurois, sur une suggestion de Laura Sibony. Je découvre un texte (et un auteur) plein « d’ironie et de tendresse », d’humour et de bons mets. Un portrait de l’Alsace perdue, secouée, entre la France et l’Allemagne et pourtant juste entre les deux.
Un moment très agréable, avant de se frotter à du Maurois « plus sérieux ».
Un roman vif et implacable
Sœur, Abel Quentin
J’avais adoré l’auteur dans son Voyant d’Étampes (voir ici), il était plus surprenant de le retrouver ici (en fait son premier roman) avec une histoire de radicalisation de jeunes filles djihadistes en région parisienne.
Ni adolescente, ni extrémiste religieux (à ma connaissance), Abel Quentin parvient pourtant à camper des personnages réalistes, attachants et justes.
On retrouve l’humour d’Abel Quentin mais aussi la patte de l’avocat, très habile dans les rouages à l’œuvre ici et la procédure qui entoure le texte. Mention également pour la précision et la justesse de ses descriptions (de la banlieue pavillonnaire morose notamment).
Enchantée par ces nouvelles, littéralement
Solitude de la pitié, Jean Giono
Je n’avais jamais lu cet auteur classique que je découvre donc avec ces nouvelles, qu’on a recommandées un peu partout pendant le confinement. Je comprends, on y entend un certain écho à l’appel de la campagne.
Odeurs de Provence, de solitude, de désœuvrement, avec en fond l’amitié, l’amour, les beautés de la terre, les oliviers et les bêtes. Il y a beaucoup de choses salutaires dans ces nouvelles, rustiques et chatoyantes.
À chaque fois que je pensais « OK bof » en commençant à m'ennuyer, j’ai finalement été rattrapée par la magie du texte, comme enchantée. L’atmosphère et la poésie de Giono demeureront.
Un roman graphique éclairant sur les troubles de l’identité
La troisième personne, Emma Grove
Ce roman graphique de 900 pages est une expérience de lecture. Par sa densité, par sa précision, par sa finesse.
Emma Grove revient sur les années de thérapie qu’elle a suivie pour pouvoir se lancer dans une transition de genre et au fil de laquelle elle s’est découvert un trouble de l’identité.
Très habilement, l’autrice/dessinatrice illustre en quelques traits ses dissociations et son changement de personnalité. C’est très fort !
Ce qui m’a le plus frappée, outre les informations sur ces troubles, c’est le pouvoir néfaste d’un mauvais thérapeute. On se prend à enrager devant ce médecin insupportable, à côté de la plaque et les tourments endurés par Ed/Emma. Il donne la sensation de tourner en rond, au plus près du vécu de l’autrice qui livre un travail très impressionnant (et instructif) dans ce roman graphique.
❤️ Hors catégorie — les gros coups de cœur
Shakespeare, une femme ? J’en suis désormais certaine !
Mary Sidney, alias Shakespeare, Aurore Evain.
Je n’en reviens pas d’avoir attendu tout ce temps pour enfin parler ici de ce formidable essai. C’est probablement jusqu’ici mon coup de cœur de l’année tant il m’a bouleversée.
Aurore Evain décrypte pourquoi l’auteur que l’on nomme Shakespeare (qui a laissé très peu de traces de sa vie et de ses écrits) pourrait être Mary Sydney, cette aristocrate instruite, lettrée, qui s’était donné pour mission de révolutionner les récits en langue anglaise. Présenté comme ça, un premier pari sur la personne à l’origine de l’œuvre qu’on connait ?
Autre indice : l’auteur qu’on appelle Shakespeare décrit parfaitement dans ses pièces la condition féminine de l’époque et met en scène énormément de personnages féminins forts et agissants, dans un monde où les femmes sont empêchées et quand aucun autre auteur ne s’empare du sujet. Par exemple il (elle !) écrit des personnages pauvres ou bergères qui savent lire et écrire alors même que ses filles et petites filles n’ont pas reçu d’éducation. Étrange paradoxe.
Sans parler des nombreuses coïncidences, traits d’union entre la vie de Mary et l’œuvre de Shakespeare !
J’ai été convaincue en moins de 50 pages (la suite était pour le plaisir) et j’ai adoré qu’on bouleverse ainsi mes croyances et les fondements de la littérature moderne.
Une fresque riche, drôle et décapante dans le 13ème arrondissement de Paris
La tour ou Un chien à Chinatown, Doan Bui
Est-ce vraiment permis d’utiliser le mot décapant dans une critique littéraire ?
L’autrice dresse le portrait du quartier Olympiades à Paris, à travers différents personnages tantôt loufoques, tantôt plus réalistes, tous très bien campés et attachants.
Les histoires s’entrecroisent comme des clins d’œil. C’est irréel que tous soient liés de la sorte, ça rend Paris très petit mais ça sert bien le propos.
En trame de fond : la diaspora vietnamienne, l’immigration, la vie à la marge de certains quartiers parisiens.
J’ai mis du temps avant d’ouvrir ce livre car il est construit sous forme de mini-récits, comme autant de nouvelles qui s’articulent, en tissant des liens entre les différents personnages ; et je suis assez exigeante sur ce genre de construction que j’ai beaucoup lu (et pratiqué à mon modeste et confidentiel niveau).
Mais quel brio ! Tant dans la narration, dans le traitement des personnages, dans l’ouverture sur des sujets si peu visibles (l’immigration vietnamienne en France) et dans les notes de bas de page. Si comme moi tu as une énorme passion pour ces appendices du texte, tu y trouveras assurément ton bonheur.
Le final est aussi dingue que grandiose, un coup de cœur du début à la fin.
Récit confidentiel sur le monde de l’édition
L’éditeur, Capucine Ruat
Je vous laisse avec ma précédente critique, j’en ai déjà longuement parlé ici.
Une déception
Le ciel ouvert, Nicolas Mathieu
Je ne m’étalerai pas sur ce livre (recueil de chroniques Instagram), si vous suivez Nicolas Mathieu en ligne, vous savez déjà à quoi vous attendre.
Nicolas Mathieu écrit merveilleusement, il est très fort pour saisir ce qui fait le quotidien et les petites choses de l’amour. Mais ça crie justement un peu trop « regarde comme j’écris bien le sel de la vie ». Y avait-il ici vraiment matière à un livre ? Une autofiction, une correspondance laissée sans réponse, une somme de moments de vie, de passion, d’amour et de mélancolie… Les passages les plus touchants sont ceux qui concernent son fils.
C’est efficace, ça fonctionne, mais ce n’est pas ce qu’on attend de Nicolas Mathieu. On a évidemment hâte de le retrouver dans un beau roman. (Sans pression Nicolas.)
Voici qui conclut le récap’ du trimestre. 🤓
Et maintenant, il y a quoi au programme cet été ?
Lire enfin Kessel, les Mains du miracle, après de nombreuses recommandations (et ce magnifique documentaire) de Marius/Blockbuster Littérature.
Succomber au bonheur parfait de James Slater, qui m’attend depuis un temps phénoménal sur ma table de nuit.
Flâner du côté de Paresse pour tous (Hadrien Klent), pour rêver politique, parce que l’actualité (même si c’est lui prêter bien trop d’autorité) l’exige !
Honorer enfin la recommandation SF de Marjorie avec Demain les chiens (CD Simak).
Découvrir La femme de trente ans de Balzac, après que plusieurs personnes m’en ont dit le plus grand bien (et puis j’avais envie de relire Balzac en fait).
Deux romans indiens pour le cercle de lecture, Charulata (Tagore) et Compartiment pour dames (Anita Nair). J’y ai déjà ajouté l’Odeur de l’Inde de Pasolini pour parfaire le voyage.
Ceux-là seraient le minimum. M’y tiendrais-je ?
Parviendrais-je à tourner le dos aux sirènes et à mon esprit changeant (pour ne pas dire capricieux) ?
Que faire des essais, de la poésie et du théâtre ?
Verdict en octobre dans le prochain bilan (ou, pour celles et ceux qui me suivent du côté d’Instagram, en Story d’ici là).
À dans deux semaines pour la reprise des programmes habituels. 👋
D’ici là, choisissez bien vos lectures d’été, remplissez vos bagages de livres, séchez quelques visio pour lire de la poésie, laissez de la crème solaire plein les pages de vos romans… lisez follement.
J’te mets pas la pression mais si t’aimes pas le Simak, j’me désabonne 😝
Blague à part, t’as un beau programme de l’été ! J’adore la poésie de Tagore mais j’ai jamais lu ses romans. Zulma a un beau catalogue indien en tout cas. Hâte de voir ce que tu vas penser de tout ca, et moi je me rajoute tes autres recos dans la PAL :)
Merci pour ces recommandations, j'ai mis Mary Sidney Alias Shakespeare directement dans mon panier 😗