Ma vie de lectrice, chapitre 1
Retour sur mes lectures du premier trimestre et annonce du prochain club de lecture.
Bienvenue dans cette 28ème édition de Aux livres, etc. 📚
Ici, on se penche davantage sur l’acte de lire que sur celui d’écrire, en se situant du côté des lecteurs et lectrices.
Mon objectif : redonner une place de choix aux livres dans nos vies, arpenter le monde littéraire sans se prendre au sérieux, ouvrir le dialogue et échanger des recommandations.
Retrouve la genèse du projet par ici pour en savoir plus.
Cette édition est un peu particulière car je n’ai pas de sujet à développer cette semaine.
Non, c’est faux ! Il y a plein de sujets que j’ai envie de creuser (l’IA et les livres, la littérature de l’exil, québécoise, la SF, les mangas, la vie secrète d’un libraire, la littérature et la mémoire…. Entre autres).
La vérité c’est que je n’ai pas eu le temps.
Ou plutôt, je ne l’ai pas pris. J’ai plus de travail ces temps-ci et je ne veux pas bâcler les thématiques qui m’intéressent trop pour y consacrer moins de deux jours (oui cette newsletter est un gouffre de temps phénoménal).
Alors j’ai décidé de ne sacrifier aucun de ces sujets.
Je vais en profiter pour simplement revenir sur mes lectures du premier trimestre.
C’est un type d’édition un peu différente et (un peu) plus light que je lance aujourd’hui, j’espère qu’elle vous plaira aussi (dites-moi svp !!).
Si ça ne t’intéresse pas, on se retrouve dans deux semaines, mais avant de fermer ce mail, jette un œil aux nouvelles du club de lecture (en fin de newsletter), ça pourrait te tenter (sinon à la prochaine 👋).
Alors j’ai lu quoi depuis le début de l’année ?
Avant de dérouler la liste, faut-il rappeler que lire n’est pas une compétition ?
Le sujet a émergé avec les bilans de fin 2023 et ne cesse depuis d’être rabâché par les créateurs de contenus littéraires (seulement les plus averti·es en vérité).
J’ai lu bien peu pour certain·es, beaucoup trop pour d’autres, là n’est évidemment pas la question ni le sujet !
Le vrai sujet c’est que je n’ai pas lu grand-chose d’absolument renversant depuis le début de l’année !
Heureusement quelques livres sortent du lot (et pourraient te plaire aussi) mais je me suis surtout ennuyée. Et ça m’a alarmée.
Est-ce que je choisis mal mes livres dernièrement ? Est-ce que je me laisse trop happer par les sirènes des recommandations Instagram ? Peut-être est-ce que je ne me dirige que vers des « valeurs sures » pour moi qui n’en sont finalement pas tant que ça ?
Un peu de tout ça sans doute.
Sachant cela, on y va pour mon avis sur chacun des livres.
Il y a deux livres dont j’avais déjà parlé, deux coups de cœur, je vous remets les liens vers les avis sur L’homme aux mille visages (Sonia Kronlund) et Mangeuses (Lauren Malka) dans les éditions concernées.
Je ne parlerai pas davantage de l’essai D’où vient la critique littéraire qui avait servi de base à cette newsletter où je mentionne aussi Comment jouir de la lecture, délicieux petit texte de Clémentine Beauvais.
Le ciel en sa fureur, Adeline Fleury
Bienvenue dans une Normandie de contes, de légendes, et de superstitions. Une Normandie sombre et poisseuse où la sauvagerie et les démons rodent. Des bêtes meurent, des hommes disparaissent ou réapparaissent sur fond de réalisme magique et de thriller au ras du sol. On goutte à la campagne dans ce qu’elle a de plus incommode et de plus noir. On se balade dans une terre peuplée de mystères, de non-dits et de secrets qui cachent des réalités abjectes. Je pourrais dire que c’est un beau portrait de la vie rurale, mais ça n’a rien de beau (si ce n’est le style), c’est glaçant et terrible. On en ressort entre l’effroi et le dégoût. Les personnages sont campés en quelques lignes, mais leur psychologie est assez fine pour qu’on les quitte à regret (notamment les deux néo-rurales Julia et Stéphane).
En garde, Amélie Cordonnier.
Ce récit à la limite de l’autofiction est captivant comme un fait divers. On le dévore vite pour savoir jusqu’où les services sociaux peuvent (pourraient) aller dans la surveillance d’une famille qui a été dénoncée anonymement (et qui semble n’avoir rien à se reprocher, si ce n’est des crises pendant le confinement, qui pour leur jeter la première pierre ?). La tension est palpable, bien soutenue au fil du roman où tout paraît cruellement vrai et la sidération demeure totale. Un bon (bien qu’angoissant) moment avec cette lecture prenante.
Je pleure encore la beauté du monde, Charlotte Mcconaghy
La vraie belle surprise de ce trimestre, sur les conseils de Sylvestre, libraire à l’Instant.
Je ne suis pas une grande fan de nature, d’animaux, de loups, et j’ai été embarquée et séduite par cette histoire. Une biologiste participe à la réintroduction des loups dans les Highlands en Écosse, envers et contre des locaux, tout sauf accueillants. C’est une histoire sensible, avec des empreintes écologistes et féministes.
Une histoire sauvage, cruelle et mordante qui montre la férocité des hommes face à une héroïne intrépide, forte et fière.
Une histoire d’emprise et de liberté au rythme des loups qu’on se prend à adorer (et à mieux connaitre) au fil du roman.
Une histoire de femmes, d’hommes et de nature, des animaux que nous sommes, sur une terre dégénérée.
Une belle réussite, sur fond de thriller, malgré quelques éléments prévisibles qui ne gâchent pour autant rien au plaisir de lecture.
FantasIA, Laura Sibony
Attention, on en reparlera !
Cet ouvrage à mi-chemin entre conte, essai et exploration nous fait découvrir l’intelligence artificielle sous de multiples facettes pour mieux la saisir dans sa globalité. C’est érudit et simple à la fois, drôle et intelligent, pertinent et parfois plus loufoque, plein de nuances (et ça fait un bien fou).
Les différentes histoires abordent les concepts de (post) vérité, de manipulation, de création, mais aussi les expérimentations de Google sur la question (que l’autrice connait bien) et les portes ouvertes (ou pas) par l’IA.
Tout un programme, à découvrir pour les plus averties comme celles et ceux qui se sentent dépassés par le sujet.
Fabriquer une femme, Marie Darrieussecq
J’avais beaucoup aimé le style sec et incisif de l’autrice dans Truismes. Je l’ai retrouvé ici avec plaisir, dans une histoire toutefois moins marquante (et le club de lecture a été unanime).
Ce livre n’en est pas moins touchant. L’autrice parvient à nous attraper avec ce concentré de vie, qui défile vite de par l’écriture fragmentaire et une plume entrainante. J’ai trouvé le récit très immersif, avec beaucoup d’éléments visuels et sensoriels (notamment par la musique) et certaines scènes mémorables. Certains passages paraissent un peu faciles mais on a envie d’y croire, de suivre ces personnages, et on revit une époque par la même occasion.
Zamir, Hakan Günday
Ce roman turc, assez éloigné de ce que je lis habituellement, m’a pris par la main pour ne plus me lâcher. L’auteur nous plonge dans les coulisses des ONG et des discussions pour la paix, tout sauf paisibles. Le héros (enfant difforme, rescapé d’un attentat dans un camp de migrant) est singulier et mémorable et le portait de ce milieu mordant et corrosif. Une belle découverte grâce à Babelio, à côté de laquelle je serai passée autrement. Le roman reste très sombre et lourd, à lire dans de bonnes dispositions mentales.
« En un mot, je vendais de la paix. J’essayais de faire croire qu’il était plus avantageux de se réconcilier, ou du moins de ne pas se tuer les uns les autres. Et je mettais tout en œuvre à cette fin. Menaces, chantages, tromperies, mensonges, calomnies, corruption, n’importe quoi… Tout ce que l’on fait en ce monde pour déclencher une guerre, je le faisais pour déclencher la paix. »
Place à quelques déceptions.
Rousse ou les beaux habitants de l’univers, Denis Infante.
Je l’avais proposé pour le bookclub, j’ai éprouvé une forme de soulagement qu’il n’ait pas été retenu, même si des échanges auraient pu m’aider à comprendre l’engouement autour de ce texte. Ce récit se situe du point de vue d’une renarde, dans un monde post-apocalyptique. Il est écrit à hauteur d’animal, se concentre uniquement sur les ressentis, mais pour moi le résultat est trop froid, l’exercice de style (sans article) ne passe pas et est trop inégal. La dernière partie quand la narratrice devient (enfin) la renarde fonctionne mieux à mon avis mais n’a pas suffi à me séduire.
Ce premier roman a bénéficié d’un grand succès d’estime ; c’est pourquoi je m’autorise à en parler en ces termes moins flatteurs (ce que j’ai encore beaucoup de scrupules à faire, surtout pour de jeunes auteurs — celui-ci entre en littérature à 70 ans).
Mr Gwyn, Alessandro Baricco
J’en avais entendu tellement de bien que je m’attendais à une révélation à la lecture de ce roman mais je suis passée à côté. J’ai aimé la situation ubuesque, les échappatoires pour ne pas se dédier à l’écriture, ne pas se lancer, les mystères de la création, mais je me suis ennuyée. Ce récit aurait pu être une très belle nouvelle.
L’effet maternel, Virginie Linhart
Je crois avoir répété plusieurs fois que l’autofiction n’était pas mon fort côté lecture et pourtant je dois reconnaitre que j’en ai lu beaucoup dernièrement. Cet ouvrage-ci est allé trop loin pour moi. Il m’a dérangé, m’a fait me sentir impudique, déplacée, voyeuse. Il s’étend à mon goût trop dans l’intime et représente un récit peu universel (chose qui pourrait me séduire dans l’autofiction). Peut-être que le fait qu’il m’ait perturbé est un bon signe et que c’est justement le résultat attendu. Je le retiendrai en tout cas pour cette sensation de malaise.
En plus bref également.
Iris en feu, le dernier amour de Van Gogh, Clarisse Gorokhoff, Wouter Van Der Veen
Une belle histoire, tendre et fulgurante, au cœur d’une des passions de Van Gogh. Intéressant (et très bien écrit) pour quiconque aime ce peintre, les histoires d’amour passionnel et les personnages de femmes incandescentes mais le roman reste très court, ce qui en fait une œuvre moins mémorable que d’autres ouvrages de Clarisse Gorokhof (dont Défaire l’amour).
Gertrude Stein et la génération perdue, Valentina Grande
Seule BD de la liste, elle retrace la vie de cette femme mécène et artiste peu connue, qui a lancé à peu près toute la génération des cubistes et faisait la loi dans le milieu artistique à Paris au début du siècle dernier.
J’ai une fascination pour la figure de cette femme forte et novatrice même si elle reste controversée.
Londres, Virginia Woolf
Ce recueil de texte sur la ville éponyme m’a accompagnée lors d’un séjour à Notting-Hill.
Il vous plaira aussi si vous appréciez cette autrice ou l’époque du début XXe en Grande-Bretagne. Je retiendrai surtout la nouvelle qui ouvre le recueil, Courir les rues. On se promène avec l’autrice dans les rues, au soleil couchant en hiver (la meilleure heure), en quête d’un crayon à papier, prétexte à s’imaginer mille autres vies que la sienne. Un texte immersif, touchant et inspirant.
Son titre pourrait faire écho au court récit de Lauren Bastide, Courir l’escargot, qui a lui présenté peu d’intérêt. Si on aime l’autrice, on ne peut s’empêcher d’être séduite par le personnage (elle-même), mais c’est autrement littéralement un livre écrit dans les notes de son téléphone et ça se ressent. Il ne faut pas le prendre pour autre chose. Une invitation à ralentir, quelques passages délicats, mais pas un ouvrage remarquable.
Voilà pour le récap du trimestre.
J’ai pris le parti de parler de tout, le bon comme le mauvais, à voir si je reconduirai l’exercice (surtout dis-moi stp en commentaire ou en réponse au mail ce que tu penses de ce format, il y a un sondage tout en bas pour les plus timides).
Des nouvelles du club de lecture
Pour les lecteurs et lectrices assidues de la newsletter, vous aviez dû voir passer le test de bookclub que j’ai lancé début janvier.
J’avoue qu’il a dépassé toutes mes attentes. 🥹
Nous nous sommes réunis à 16 (deux groupes de huit, à Paris et en visio) pour parler de Fabriquer une femme de Marie Darrieussecq et de littérature en général !
Des échanges riches, enthousiastes, animés, et… unanimes (comme détaillé plus haut) !
Deux si bonnes soirées littéraires (et humaines !) que… je remets ça !
Je ne peux pas m’en empêcher, c’était tellement agréable de se retrouver entre lecteurs, de vivre une expérience de lecture à plusieurs, et savoir que ça a aidé à motiver certain·es à lire me réjouit forcément.
Nous sommes déjà un bon groupe mais il est encore possible d’accueillir de nouveaux et nouvelles participantes qui auraient raté l’info, pour quelques sessions ou une seule. Rien de définitif ni de très formel. Je vois ce club de lecture comme un prolongement dans la vie réelle de cette newsletter.
Le principe retenu est un tour du monde de la littérature (rien que ça) avec un pays à l’honneur à chaque session.
Je proposerai un vote pour la lecture d’un classique (dans la mesure du possible un Nobel du pays) et/ou d’un auteur·ice contemporain.
S’il y a des groupes suffisamment grands pour les deux romans, on se scindera en deux. Si un l’emporte largement, une seule session ! (Et si comme moi tu as envie de lire les deux, on ne se retient pas.)
La prochaine date de rendez-vous est fixée au mercredi 12 juin 19h pour la rencontre parisienne. Le rendez-vous en visio sera le 17 juin à 18h30.
Et on décolle donc pour la Colombie. 🇨🇴
Voici le lien pour l’embarquement (promis j’arrête avec les métaphores voyage), à renseigner avant le 12 avril si tu es intéressé·e.
Ça reste gratuit (moyennant l’achat ou l’emprunt du livre, et des consos le soir de l’événement si en présentiel) et ouvert à tous et toutes (spéciale dédicace à Chloë, notre participante de 12 ans sur la première édition 🫶).
J’espère que ce nouveau format t’aura plu !
On se retrouve dans deux semaines pour une édition plus traditionnelle.
D’ici là, bonnes lectures ! 👋
Pour L'Homme aux mille visages de Sonia Kronlund, j'avais entendu le podcast il y a quelques temps (peut-être sur ta recommandation), et l'histoire est quand même hallucinante ! Merci pour ces recommandations lecture, toujours instructif et il y a de quoi remplir la pile à lire (voire ses placards !)