Les livres, un gouffre financier ?
Mais qui peut bien se permettre d’acheter des livres ? Devient-on riche en éditant des romans ? À qui profite le livre ? Où l’on parle moula et littérature.
Bienvenue dans cette 43ème édition de Aux livres, etc. 📚
Ici, on se penche davantage sur l’acte de lire que sur celui d’écrire, en se situant du côté des lecteurs et lectrices, avec toutes les deux semaines une thématique liée à la littérature et à la lecture. Retrouve la genèse du projet par ici pour en savoir plus.
J’écris ces lignes en regardant la neige tomber. À l’arrière plan, des arbres aux feuilles jaunes, marron, cuivre.
C’est une des rares joies de la saison (avec les champignons, les courges1, les feux de cheminée et les bonnes excuses pour ne pas sortir).
Ce paysage me ramène à ma dernière lecture, Nagori, la nostalgie de la saison qui vient de nous quitter de Ryoko Sekiguchi, qui fait l’éloge du cycle et de la saveur des saisons.
Je ne résiste pas, avant de passer au sujet du jour, à l’envie de vous en partager un extrait et de vous recommander chaudement ce court texte.
Les saisons, c’est un sentiment, une émotion. Nous entretenons avec chacune d’elles une relation intime et personnelle. Sentir cet attachement, quel que soit le moment de la saison que l’on préfère, c’est peut-être cela « être de saison », au sens de l’expression française. C’est être dans l’instant, être dans la vie. Si la rencontre avec un produit est semblable à la rencontre avec une personne, elle peut connaître des moments de passion et d’amour, mais aussi des séparations. Dans ces rencontres, il y a des moments où l’on est particulièrement attentif à l’autre, comme on peut être frappé par la brillance de fleurs, presque fluorescentes, sous les rayons de la lune ; comme on est touché devant un hortensia, parvenu en fin de saison par la « vieillesse » de ses fleurs, dont les pétales séchés sur pied ont perdu leurs couleurs, mais non pas leur beauté fragile
Je suis à ça 🫰 de classer ma bibliothèque par saison.
Il y a des livres d’été, comme il y a des livres qu’on ne lirait qu’au printemps ou en automne. Qui a envie de se plonger dans le brouillard d’une province anglaise en juin ? Qui veut un roman écrasant de soleil en plein mois de novembre ?
Lire en accord avec la saison est le nouveau « frugalité littéraire ». À méditer.
Et sans transition, parlons moula ! 🤑
Les livres sont-ils trop chers ?
Les lecteurs qui souhaiteraient lire davantage invoquent que le prix est un frein pour 26 % d’entre eux (baromètre CNL 2023).2
Qui peut se permettre aujourd’hui de dépenser 22 € dans un roman broché ?
Pas étonnant que les livres soient devenus un signe extérieur de richesse. Après tout, le livre est un reflet souhaitable de soi (j’en parlais ici).
Est-ce que la littérature mérite même ce tarif-là ?
(Vraie phrase entendue en librairie « ça ne vaut pas ce prix-là, j’attendrai le poche » ! 🫢)
Après tout, c’est du papier, de l’encre et un·e artiste… ils vivent pour la beauté de l’art ces gens-là non ?
Alors, bon, respirons, reprenons, commençons par la base.
Qui gagne quoi sur la vente d’un livre ?
Les chiffres sont ici estimatifs (sauf la TVA, 100 % précise), je cite les sources en fin de news.
Les auteur·ices négocient généralement les droits qu’ils perçoivent, et plus ils ou elles sont connu·es, plus leur rémunération est conséquente.
Il est important de souligner que si la part des libraires semble énorme, la marge moyenne du secteur est de 1 %. Ça veut dire qu’une fois le loyer, les salaires et autres charges payés, il reste dans la caisse de la librairie 1 % de la somme des ventes de livres effectuées. Si auteur·ice est un métier (en est-ce vraiment un ? Je ne rentre pas dans ce vaste débat) précaire, libraire est une profession passion.
Sans amour de la littérature, aucun intérêt, autant vendre des cigarettes électroniques (à en juger par la prolifération de ces points de vente, je suspecte une marge plutôt confortable, mais je n’ai pas étudié la question, pardon pour l’offense si vous êtes tous et toutes des entrepreneurs passionnés par le sujet).
Une large part de ce que l’éditeur touche sert à couvrir les frais de structure mais aussi la pub et les services support. La marge est ici liée au risque pris lors de la publication (c’est pourquoi les auteur·ices populaires ont plus de pouvoir de négociation, ils assurent a priori des ventes minimums).
Ceci étant dit, on comprend assez vite qu’un livre n’est pas un produit comme un autre. Il y a une quantité d’acteurs à rémunérer lorsqu’on achète un ouvrage (hors autoédition bien sûr, une seule et même personne étant aux commandes de l’écriture, l’édition et la diffusion).
Si on devait compresser le prix, on porterait alors la contrainte sur chacun d’entre eux, au risque de voir s’affaiblir l’ensemble de la chaine du livre.
On a d’ailleurs la chance d’avoir en France une loi (Lang) qui protège le prix du livre (et toute la filière de l’édition). C’est la loi dite du prix unique du livre qui permet de trouver un ouvrage au même prix (hors occasion) partout, tout le temps. C’est pourquoi il est judicieux, crucial (voire impératif) de se tourner vers les librairies indépendantes où le livre est proposé au même prix que sur A…Z (pour ne citer qu’eux) mais où le conseil, les échanges et la vie culturelle sont infiniment plus précieux.
Il semble donc que le prix du livre soit assez juste (et si c’est un problème, c’est plutôt pour l’auteur… mais c’est un autre débat.)
Le livre est-il pour autant un produit de luxe ?
Évidemment non (et heureusement).
⭐️ Le format poche (qui a fait grand bruit à sa sortie dans les années 80) permet la publication de livres à moindre coût, alors proposés à un tarif plus accessible, généralement inférieur à 10 €. Les éditeurs y gagnent sur la fabrication (le papier, la couverture ne sont pas les mêmes) et prennent moins de risque, le livre ayant déjà bien fonctionné.
Un an sépare habituellement la parution du grand et petit format, pour les patients, c’est une bonne option.
⭐️ Certains livres échappent au prix unique… les livres d’occasion.
Aujourd’hui, 20 % des ouvrages achetés par les Français le seraient par ce biais.
Il est normal que les livres circulent, qu’ils ne dorment pas dans des greniers et que donc parfois l’on souhaite les donner ou les revendre. Ils sortent alors du circuit et ne permettent plus de rémunérer ni les auteurs, ni les éditeurs, ni les libraires.
Il est tentant et naturel de se tourner, de temps à autre, vers ce type d’achat, c’est un atout pour le consommateur mais ça ne contribue pas à protéger l’économie du livre.
Ma position sur le sujet est de n’acheter de la sorte que des auteurs morts (déso les ayant droit) pour limiter l’impact (on se rassure comme on peut).
Une loi est à l’étude pour préserver le prix unique du livre en taxant les achats d’occasion de 3 %. Et elle fait naturellement l’objet de polémiques.
⭐️ Enfin, n’oublions pas que les bibliothèques offrent un accès gratuit aux livres.
Elles sont un moteur puissant de démocratisation pour la littérature. Un bémol, l’accès à une médiathèque peut parfois être problématique selon le territoire dans lequel on vit, mais l’école continue à jouer ce rôle avec des coins livres mis en place dès la maternelle.
À la différence du poche, j’ai aussi remarqué dans ma bibliothèque que les disponibilités sont quasiment immédiates pour les nouvelles parutions.
Mais d’ailleurs, les auteurs et autrices sont-ils rémunérés en cas d’emprunt ?
Oui, plus ou moins. C’est l’état qui contribue à rétribuer les auteurs et éditeurs pour les prêts.
⭐️ Un dernier mot pour les œuvres tombées dans le domaine public, accessibles parfois dans des collections moins onéreuses, et gratuitement en ligne, sur Gallica notamment.
Alors quand on prétend que lire coûte cher et que c’est une activité bourgeoise, n’est-on pas un peu paresseux ?
La lecture est certes valorisée dans les milieux bourgeois (du moins une certaine idée de la lecture, n’allez pas leur parler de mangas) mais le livre est un bien populaire !
Il est accessible (pour toutes et tous, partout et tout le temps) et surtout précieux.
Les livres, ce ne sont pas juste des pages et du papier mais des idées, des réflexions, des émotions, des lignes qui peuvent changer une vie.
Est-ce que ça a vraiment un prix ?
Rendez-vous en librairie indépendante, rendez-vous en bibliothèque, trouvez une boîte à livres près de chez vous et bonnes lectures ! 📚
🔗 Les sources
La vidéo récap’ de la 👸 Jeanne Seignol.
La situation des librairies indépendantes — Syndicat librairie.
L’économie de l’édition — Actualitte
L’invention du livre de poche — Radio France
3 parutions récentes désormais en poche
Je ressors pour l’occasion quelques coups de cœur de l’année passée, bonne occasion de les remettre à l’honneur, à plus petit prix.
Malheureusement certains n’ont pas paru en poche mais vous pouvez tout de même les retrouver par là.
Partout les autres, David Thomas
Ça fait beaucoup trop longtemps que je n’ai pas parlé de David Thomas !
C’est le roi de la microfiction (à mes yeux) qui manie mieux que personne l’art de saisir l’instant, de capturer des moments de vie et de faire vivre en quelques lignes des émotions poignantes. Il s’agit ici de son dernier recueil, couronné par le Goncourt de la nouvelle (je ne suis donc pas sa seule fan).
Un genre et une plume à connaitre.
Tout ce qui manque, Florent Oiseau
On lit Florent Oiseau pour son style plus que pour l’histoire. Avec ses phrases percutantes, quelques punchlines et une narration fluide, il nous entraine où il veut, dans les moindres recoins de la vie et c’est réconfortant et addictif.
À découvrir si tu n’as jamais lu cet auteur.
Le dernier étage du monde, Bruno Markov
Je ne rate pas une occasion de le citer (vous me direz quand c’est trop ?). ☺️
C’est un roman brillant, une histoire de vengeance qui mêle revanche sociale, algorithmes, grandes entreprises et conseil. L’auteur rend les notions technologiques (qui gouvernent notre monde) très accessibles et déploie des situations et des personnages troublants et justes.
Un must pour comprendre notre époque, et un vrai page turner !
De belles recos 100 % masculines ! 🫢 J’essaye habituellement d’éviter cet écueil mais la plupart des autrices aimées cette année ne sont pas (ou pas encore) en poche. Il y a notamment le récit enquête de Sonia Kronlund qui ne saurait tarder à arriver sur les tables de vos librairies. À suivre.
À dans deux semaines avec un nouveau sujet littéraire. 👋
Julia
Ton avis m’est précieux, merci à ceux et celles qui ont consacré (et qui consacreront) quelques minutes à ce rapide questionnaire.
Et bien sûr, si ce n’est pas déjà le cas, continue à suivre et à soutenir Aux livres, etc. en t’abonnant à la newsletter ou en la partageant.
J’aurais pu ajouter la raclette, les choux farcis, les Saint-Jacques, les marrons, les grogs… Je m’arrête là parce que j’aime trop manger (on a compris) et l’automne/hiver est ma saison préférée au monde (et je ne suis pas une alienne, n’en déplaise aux estivaux, on est plus nombreux que vous ne le croyez dans cette secte 🍂).
Soyons sérieux un instant, le prix du livre n’a jamais été une excuse pour ne pas lire (et on va le voir au fil de la news) ! Alors reprenons notre temps en main (parce qu’il semblerait que ce soit ça le vrai frein).
Classer sa bibliothèque par saison, quelle idée fantastique ! 🤩
Classer ses livres par saison !!! C'est une excellente idée !!!