À la table de la littérature
Lire + manger = la vie ! La newsletter qui relie enfin deux de mes passions (avec pas moins de 23 recommandations).
Bienvenue dans cette 42ème édition de Aux livres, etc. 📚
Ici, on se penche davantage sur l’acte de lire que sur celui d’écrire, en se situant du côté des lecteurs et lectrices, avec toutes les deux semaines une thématique liée à la littérature et à la lecture. Retrouve la genèse du projet par ici pour en savoir plus.
J’ai cette édition en tête depuis plus d’un an peut-être et Marianne m’a apporté le déclic qu’il me fallait pour la préparer.
Marianne, c’est l’une des deux fondatrices du Supper Bookclub.
LE concept de mes rêves à savoir un club de lecture qui se réunit autour d’un repas gastronomique inspiré par les livres choisis. 😋
(Mon autre concept rêvé serait une soirée accord vin-livre ! 🍷 Je l’ai déjà évoqué, j’en ai raté une et je caresse l’espoir que ma libraire en organise une nouvelle avec le caviste du quartier !)
La première édition du Supper Bookclub aura lieu le 18 novembre, à Paris centre, sur le thème du feu 🔥, en présence de Camille Emmanuelle, auteure de Cucul et Arthur Dayras auteur de Que brûle la nuit.
Une expérience unique, pour se réunir entre amateur·ices de belles pages et partager plus que le plaisir de la lecture.
Plus d’informations sur le concept dans cette vidéo.
J’ai déjà pris ma place pour la soirée de décembre, sur le thème du mouvement.
Si vous souhaitez participer dans quelques semaines ou le mois prochain, rendez-vous par ici et profitez d’une réduction de 10 % avec le code LIVRESETC.
Tenez-moi au courant de votre expérience de novembre et prévenez-moi si l’on s’y retrouve en décembre 🙌
En attendant, parlons livres, parlons bar en croûte de sel, pot-au-feu revigorant, baozi pimenté… bref, parlons littérature et bonne bouffe !
Il ne sera pas question ici de livres de cuisine (voir plutôt par là), un des domaines stars de l’édition, mais de mets délicats (ou pas) qui s’insèrent entre les pages de nos romans (et BD).
Et en fin de newsletters, retrouvez aussi les recommandations de lectures gourmandes de Marianne, du Supper Bookclub.
Quels liens entre nourriture et littérature ?
L’émotion, le plaisir, la transmission, et la langue bien sûr.
Alors quand ces deux-là se rencontrent, sensation assurée !
Vaste et délicieux sujet.
Si l’on peut souvent qualifier le dernier livre qui nous a fait rire ou pleurer, peut-on citer celui qui nous a fait saliver ?
Parler des saveurs est un art, transmettre leur nuance et retranscrire la sensorialité, un exercice bien plus difficile qu’il n’y parait. C’est là une véritable prouesse d’écrivain·e car il faut extraire le sens, saisir le goût et le faire ressentir sans avoir accès au palais (ni aux autres sens qui constituent le goût).
Quelle folle extase quand cela fonctionne, qu’on parvient par l’esprit à éprouver une émotion gustative. Car si le goût est une expérience, c’est aussi un souvenir.
Ça ne vous rappelle pas une certaine madeleine ? Quand Proust évoque ce souvenir d’enfance, nous sommes également ramenés à cette saveur, à cette émotion-là.
« Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin, à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents ; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé ; les formes — et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot — s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. »
Proust, Du côté de chez Swann.
Peut-on dire mieux que « l’édifice immense du souvenir » ?
Est-ce que d’autres mots peuvent aussi bien qualifier littérature et émotions sensorielles ?
Tout a été dit ? Grandes gourmandes et gourmands que nous sommes, ne nous arrêtons pas en si bon chemin vers le plaisir.
Par où continuer à chercher pour se régaler ?
(Spoiler : la réponse est souvent le Japon.)
Quelles nourritures terrestres et spirituelles pour se remplir aussi bien la pensée que la panse ?
Sélection suggestive de 10 livres à dévorer (et quelques amuse-bouche ; y en avait un peu plus, je vous l’ai mis quand même).
🍆 La cuisine sensorielle et sensuelle
Dès que sa bouche fut pleine, Juliette Oury
J’en ai déjà parlé, j’ai été surprise par la justesse de ce roman, qui aurait pu s’annoncer comme un exercice rigolo et dur à tenir sur la longueur. Et pourtant, cette inversion entre sexe et nourriture est brillante. À travers ce jeu de renversement, l’autrice soulève des questions plus profondes qu’il n’y parait sur l’alimentation : le rapport au corps, aux autres, aux tabous, à l’intimité et à la tentation. Une très agréable surprise, parmi mes coups de cœur l’an dernier (contre toute attente), désormais en poche.
À savourer avec un plateau de sushis (celles et ceux qui l’ont lu savent !) 🍣
Sauvages, Julia Kerninon
J’en avais déjà parlé et cité un passage éloquent ici. Tout y est dit. Un roman qui joue à merveille avec les sens, aussi disponible en poche désormais (ce qui veut dire dans mon langage : n’hésitez pas, vous n’avez rien à perdre !).
À lire avec un plat de spaghetti alle vongole, une part de Sachertorte s’impose pour le dessert. 🍝
🍴 La nourriture, un marqueur social
Le ventre de Paris, Émile Zola
Avec ce roman, Zola nous ouvre les portes de toute une époque. Comme souvent avec lui c’est la dimension sociale qui se dessine à travers les choses du ventre et le (mythique) marché des Halles, ses victuailles odorantes, proliférantes. Les « gras » s’opposent aux « maigres » dans ce troisième volet de la série des Rougon-Macquart, sur fond d’intrigue politique.
« L’idée générale est le ventre, la bourgeoisie digérant, ruminant, la bête broyant le foin au râtelier, la bedaine pleine et heureuse se ballonnant au soleil. »
À déguster autour d’un menu en cinq services : bouillon de légumes, maquereau à l’escabèche, os à moelle, pâté en croute et pommes dauphine, profiteroles au chocolat. 🍛
🫦 Visiter une ville avec la bouche
961 heures à Beyrouth, Ryoko Sekiguchi
Dans ce récit, l’autrice japonaise nous emmène visiter Beyrouth à travers la cuisine, les saveurs, les plats et celles et ceux qui les font. Quelle plus belle manière pour aborder l’âme d’une ville, d’un peuple et une culture que de la goûter tout entière. Un voyage savoureux, intime et aux allures universelles, à mettre en regard avec les drames qui ont secoué le Liban, après le séjour de Ryoko et jusqu’à ce jour.
À lire avec des kebbeh et du tabbouleh. 🧆
✈️ Le goût d’un pays
Et là je crois que le Japon a la palme d’or 🏆 (ou est-ce un biais de mes propres appétences ? Je serai curieuse d’approfondir la question pour d’autres pays s’il y a lieu).
On connaît la relation des Japonais à la nourriture et le rôle central qu’y jouent les traditions et la culture ; cela se ressent donc logiquement dans leur littérature et les nombreux ouvrages qui explorent l’art culinaire de différentes régions (ou quartiers) en mettant à l’honneur les mets comme celles et ceux qui préservent les saveurs du pays.
On peut notamment se tourner vers :
Un sandwich à Ginza, Yōko Hiramatsu
Le promeneur solitaire, Jiro Tanigushi (BD)
Et en France, la parution récente de La quête du sushi parfait, Jad Ibrahim (le livre que j’aurais rêvé écrire).
Impossible de ne pas citer ici aussi Ryoko Sekiguchi, mentionnée plus haut, et son Nagori, La Nostalgie De La Saison Qui Vient De Nous Quitter que je commence tout juste et dont je me délecte déjà.
On pourrait en lister bien d’autres encore, mais vous avez l’idée.
Le tout, à savourer penché·e sur un ramen fumant. 🍜
Du côté de l’Italie, on pourrait éventuellement trouver des références similaires ?
Je pense à L’écume des pâtes, roman autobiographique dans lequel Tommaso Melilli part à la recherche de la « vraie » cuisine italienne.
Une bonne raison de se préparer un « vrai » plat de pâtes carbonara (si besoin voir page 93 de l’édition brochée du livre ci-dessus, chez Stock). 🥓
🍏 La saveur des origines
Tout le monde n’a pas la chance d’aimer la carpe farcie, Élise Goldberg
Si la cuisine est un marqueur social et culturel, elle ramène aussi à l’enfance, aux origines, aux saveurs dans lesquelles on grandit et qui, semble-t-il, façonnent nos goûts pour la vie. C’est dans cette quête presque identitaire que se lance Élise Goldberg à travers ce texte fragmentaire dédié (comme son nom l’indique) à la culture et à la cuisine ashkénaze, certes pas la plus réputée mais qui véhicule l’âme d’un peuple et contribue, avec d’autres traditions, à le fédérer.
À lire, évidemment, avec un plat de gefilte fish (carpe farcie) ; impossible de ne pas citer la recette de Lola Spun. 🐟
Pleurer au supermarché, Michelle Zauner
Du côté des États-Unis, le deuil se dissipe au supermarché, quand la narratrice retrouve dans les rayonnages des réminiscences de la cuisine de sa mère, originaire de Corée. Un héritage fort, un lien certain, pour une culture qui lui semble si proche et si lointaine.
À lire le nez au-dessus d’un bol de ragout de tofu soyeux pimenté. 🥢
À la recherche de Jeanne, Zazie Tavitian (BD)
La cuisine prend ici une dimension mémorielle, quand Zazie découvre un cahier de recettes ayant appartenu à son arrière-arrière-grand-mère, assassiné dans les camps d’extermination nazis. L’autrice enquête sur cette ancêtre, en s’appuyant sur ses recettes, pour tisser un lien entre elles.
À dévorer avec des artichauts à la bohémienne. 💃
👩🍳 La littérature s’invite au restaurant
Le dîner, Herman Koch
L’univers du repas au restaurant offre également un terrain intéressant pour les jeux qui se trament toujours dans ces endroits-là.
Que ce soit à table, dans ce thriller culte hollandais sous forme de huis clos, ou en cuisine dans le québécois Le Plongeur, Stéphane Larue.
À feuilleter attablé·e dans votre bistro préféré. 👩🍳
🧬 Le futur de l’alimentation
Bouchées Doubles, Les Nourritures Du Futur En Bande Dessinée, collectif
Des auteur·ices et chef·fes s’allient pour dépeindre le futur de l’alimentation, dans un album fourni, qui fait réfléchir mais aussi sourire. Voici ce qu’en dit l’éditeur : « drôle, lucide, porteuse d’espoir, pédagogique, franchement perchée, caustique, intime, gourmande… Au fil de ces quatorze visions de la cuisine de demain, on oscille entre rire et larmes et on en prend plein les yeux. »
Alléchant, non ? Une recommandation de Sylvestre, libraire à l’Instant, qui m’a tout de suite conquise !
À consommer avec des toasts de caviar d’algues. 🍘
🤤 Questionner la relation à la nourriture
Mangeuses, Lauren Malka
Je ne rate pas l’occasion de citer à nouveau ce brillant essai de la journaliste Lauren Malka, dont j’avais déjà parlé ici.
Lauren Malka explore la gourmandise féminine et les injonctions qui pèsent depuis la nuit des temps sur les corps et l’appétit des femmes. Le propos est édifiant, stupéfiant et extrêmement bien documenté.
À dévorer en croquant dans un burger à pleines dents. 🍔
😍 La pépite sur le gâteau
Charlie et la chocolaterie, Roald Dhal
À lire à tout âge, un plaisir régressif, qui rappelle les joies de l’enfance, les premières émotions (et boulimie) de lecture.
À savourer avec une tablette de Lindt fleur de sel (ou votre propre obsession chocolatée). 🍫
🔗 Quelques liens pour aller plus loin
🎧 Podcast Revolutions alimentaires - Comment relier cuisine et littérature ? Avec Louise Browaeys et Ryoko Sekiguchi (décidément).
🍽 Ça mange quoi un académicien Goncourt ? (Je vous préviens, je ne refuserais pas l’invitation !)
🖼 Pour les parisien·nes (ou en visite virtuelle), l’exposition A lire et à manger à la bibliothèque Sainte-Geneviève jusque mi-décembre.
5 romans savoureux (et un bonus !)
Par Marianne Fougere, fondatrice du Supper Bookclub
🇯🇵 La Cantine de Minuit, Yarõ Abe
Pour y retrouver l’ambiance improbable et si spécifique des izakaya tokyoïtes.
Dans ce petit restaurant situé au fond d’une ruelle du quartier de Shinjuku, le patron vous accueille de minuit à sept heures du matin. La carte ne propose que du tonjiru, soupe de miso au porc, ainsi que du saké, mais selon vos envies, on vous préparera à la demande tout ce qu’on est en mesure de vous servir.
🥮 De pain et de lait, Karolina Ramqvist
Pour associer l’odeur des madeleines à quelqu’un d’autre que le grand Proust.
Suis-je aujourd’hui ce que j’ai mangé hier ? De quoi ai-je hérité au moment de passer à table ? Karolina Ramqvist explore ses madeleines proustiennes et nous invite à découvrir l’histoire culinaire et affective d’une famille sur trois générations. Elle se souvient de l’ivresse d’une orgie de clémentines, de la recette du riz au lait cuisiné par sa grand-mère et de l’amertume des crêpes laissées par sa mère pour le goûter qui lui signalaient qu’elle serait seule à la maison.
👩🦰 La femme comestible, Margaret Atwood
Pour ne plus associer Margaret Atwood qu’à la seule Servante écarlate.
Marian se cherche, irrésolue. Va se marier, sans passion. Et vit la plus étrange des expériences : peu à peu, elle ne peut plus rien manger. Chez elle, alors, tout se détraque. Car moins elle peut avaler, plus elle se sent elle-même dévorée : comme si, de membre bienveillant de notre société de consommation, elle se retrouvait dans la peau d’un de ses produits…
🇮🇷 Une soupe à la grenade, Marsha Mehran
Pour apporter la preuve que la nourriture, à défaut de changer le monde, peut transformer des vies.
Trois jeunes sœurs ayant fui l’Iran au moment de la révolution trouvent refuge dans un petit village d’Irlande pluvieux et replié sur lui-même. Elles y ouvrent le Babylon Café et bientôt les effluves ensorcelants de la cardamome et de la nigelle, des amandes grillées et du miel chaud bouleversent la tranquillité de Ballinacroagh. Les habitants ne les accueillent pas à bras ouverts, loin s’en faut. Mais la cuisine persane des trois sœurs, délicate et parfumée, fait germer d’étranges graines chez ceux qui la goûtent. Les délicieux rouleaux de dolmas à l’aneth et les baklavas fondant sur la langue, arrosés d’un thé doré infusant dans son samovar en cuivre, font fleurir leurs rêves et leur donnent envie de transformer leur vie.
👩👦 L’embellie, Audur Ava Ólafsdóttir
Pour découvrir la plume magique de l’autrice de Rosa candida.
En ce ténébreux mois de novembre, la narratrice voit son mari la quitter sans préavis et sa meilleure amie lui confier son fils de quatre ans. Qu’à cela ne tienne, elle partira pour un tour de son île noire, seule avec Tumi, étrange petit bonhomme, presque sourd, avec de grosses loupes en guise de lunettes. Avec un humour fantasque et une drôlerie décapante, l’Embellie ne cesse de nous enchanter par cette relation cocasse, de plus en plus attentive, émouvante entre la voyageuse et son minuscule passager. Ai
✨ Bonus : La végétarienne, Han Kang
Pour lire enfin le prix Nobel de littérature 2024 !
Une nuit, elle se réveille et va au réfrigérateur, qu’elle vide de toute la viande qu’il contient. Guidée par son rêve, Y nghye a désormais un but : devenir végétale, se perdre dans l’existence lente et inaccessible des arbres et des plantes. Ce dépouillement qui devient le sens de sa vie, le pouvoir érotique, floral, de sa nudité vont faire voler en éclats les règles de la société, dans une lente descente vers la folie et l’absolu.
Des recommandations à partager ? Rendez-vous en commentaires. 👇
Qu’elles soient gourmandes, écœurantes, enivrantes ou étourdissantes, je vous souhaite de bonnes lectures (et bon appétit, bien sûr).
J’ai commencé à lire la lettre un peu en diagonale je l’avoue et finalement j’ai plusieurs nouveaux titres sur ma PAL. Merci !
Merci Julia, je me suis RÉ-GA-LÉE. Quelle belle idée que de mélanger littérature et nourriture !
Je note tes recommandations pour ma prochaine virée gourmande en librairie 🤓😋