On est foutu, on ne lit plus
Lecture en baisse chez les Français, que faire pour s’en sortir ? Un pas de côté où l’on imagine de chouettes initiatives pour rendre la lecture plus populaire.
Bienvenue dans cette 53e édition de Aux livres, etc. 📚
Ici, on se penche davantage sur l’acte de lire que sur celui d’écrire, en se situant du côté des lecteurs et lectrices, avec toutes les deux semaines une thématique liée à la littérature et à la lecture. Retrouve la genèse du projet par ici pour en savoir plus.
Mardi dernier, le 8 avril, était une journée absolument morose.
C’était pourtant ma fête, la Sainte-Julie, mais seule mon amie Julie me l’a souhaitée… passons !
J’ai retrouvé mon vélo avec une roue à plat.
J’ai assisté à la conférence la plus déprimante de l’année. Claire Chazal et Régine Hatchondo (présidente du CNL) apparaissent à l’écran, accablées, démoralisées, telles deux lanceuses d’alertes littéraires. Les résultats du baromètre de la lecture 2025 viennent de tomber et rien ne va plus. Les Français tournent le dos à cette activité.
Je m’apitoie aussi, je me désole, je suis triste de me sentir éloignée de mes compatriotes (et c’est peut-être loin d’être la seule raison) mais heureusement ce jour-là je déjeune avec deux amies (libraire et traductrice, l’une fraichement rentrée du Liban et qui rapporte des nouvelles hautement plus dramatiques que mes petits tracas). On parle surtout de livres, d’émotions et de découvertes. Il y a de l’enthousiasme, de l’espoir, de la joie autour de cette table. Rebelote le soir avec la réunion du cercle de lecture de la newsletter. Je finis la journée le cœur léger, revigorée et motivée. 🫶
Tout ça existe bien. Les zones de joie que la littérature nourrit. Les liens qu’elle tisse. Les portes qu’elle ouvre.
Je pourrais profiter tranquillement de tout ça dans mon coin et vivre ma meilleure vie (effondrement climatique et civilisationnel mis à part…). Pourquoi est-ce que je me soucie de ce que font les autres ?
Je dois vous avouer que je me fiche bien de qui lit ou ne lit pas. Mais je suis persuadée qu’un monde où il y a plus de lecteurs est un monde plus beau, plus ouvert, plus conscient. Il y a deux ans, j’ai lancé cette newsletter avec l’espoir d’aider certaines personnes à faire de la place pour une activité qu’elles souhaitaient reprendre ou du moins renforcer.
Surtout, j’aime lire (ah bon ?), j’aime les rencontres autour des livres, j’aime créer des liens, j’aime partager cet amour-là et j’ai la conviction qu’avec les livres on peut accomplir de grandes choses collectivement.
(Mais encore faut-il qu’on les lise donc.)
Ma déprime passagère du 8 avril ne va pas m’arrêter dans mon élan, elle me donne même envie d’aller plus loin ! De créer de nouvelles choses, d’en faire plus encore et de continuer à partager avec vous tous mes réflexions, mes enquêtes dans le monde du livre, mes découvertes et conseils littéraires.
Un pas de côté aujourd’hui avec des idées pour contribuer à rendre la lecture plus populaire.
Et après le dossier thématique, trois recommandations de livre qui donnent envie de lire sans s’arrêter ! Il se peut que le mail soit trop long, pense à l’ouvrir dans un navigateur pour y accéder jusqu’à la fin.
63 % des Français ont lu au moins 5 livres en 2024.
Lors du dernier baromètre, un an auparavant, ce chiffre était à 69 %. Une chute sévère !
Les Français lisent encore, mais de moins en moins.
En cause ? Les écrans principalement.
On en parlait déjà par ici l’an dernier.
Les personnes interrogées consacrent en moyenne 3h24 à la lecture chaque semaine, tandis qu’elles passent 23h27 devant un écran pour leurs loisirs. Un jour entier voué à scroller ? On échange aussi des messages, de l’information et de la culture parfois en ligne, ce chiffre inclut également la télévision. Ne dénigrons pas en bloc les écrans mais force est de constater que l’attention est assez malmenée par ce nouveau paradigme.
Je ne vais pas vous refaire le résumé de l’étude (disponible ici) mais une chose continue à me gêner, on jette beaucoup le discrédit sur les jeunes. J’en avais déjà parlé. 👇
La lecture n'est pas le remède à tous nos maux
Dans un monde où l'on en vient à comparer la littérature à TikTok, ou comment on assomme les jeunes d’injonctions sur le livre pour bien les en dégouter.
Bienvenue dans cette 30ème édition de Aux livres, etc. 📚
Et pourtant, même chez les personnes qui lisent habituellement beaucoup (54-60 ans), le temps consacré à la lecture diminue au profit des écrans (et a priori souvent de Netflix et consorts). Une première.
Il est peut-être donc temps de regarder plus loin que le bout du nez des jeunes (qui font bien ce qu’ils peuvent) pour embrasser la question plus collectivement.
Surtout, au lieu de traiter les causes, intéressons-nous aux solutions.
Je me suis plu à imaginer des initiatives qui aideraient mes compatriotes à retrouver le chemin de la lecture. (Le point numéro 1 étant bien sûr de s’abonner et de partager la newsletter 😇.)
Je n’ai pas la prétention de croire que ce sont des idées neuves et que les éditeurs n’ont pas déjà exploré certaines pistes mais il faut garder en tête que le but d’une maison d’édition n’est pas de faire lire massivement, c’est de vendre, et c’est donc un autre sujet.
C’est parti pour 4 initiatives pour promouvoir la lecture !
👉 Aller là où les gens lisent
64 % des Français lisent dans les transports en commun (même source que précédemment).
Investissons plus largement ces lieux avec des livres. À travers des points de vente (des distributeurs dans le métro et les gares), des boites à livre, des points d’échange identifiés…
J’adore évidemment l’exemple de ce distributeur à Manchester
Le risque : qu’un acteur comme B0ll0ré mette la main sur le système et inonde la ville de bouquins questionnables.
Le petit plus serait que des éditeurs indépendants s’unissent pour déployer un tel dispositif dans les grandes gares et faire la lumière sur leurs pépites moins connues. Ou les libraires indépendants des quartiers de chaque station de métro. Pourquoi pas ?
Il existait gare d’Austerlitz des distributeurs d’histoire. Je ne les ai pas revus dernièrement mais je me trompe peut-être.
La SNCF proposait aussi un service de livres électroniques, e-livre, à choisir en fonction de son temps de trajet (pour en savoir plus). Une initiative qui a été arrêtée, j’ignore pourquoi.
👉 Capitaliser sur les formats qui séduisent les Français : le court, les séries.
Il semblerait qu’à mesure que la lecture baisse, le binge-watching augmente, que ce soit des séries à la chaîne ou vidéos en ligne.
La série connait un nouvel âge d’or aujourd’hui… comme au XIXe dans les journaux sous forme de romans-feuilletons. Ce format a totalement disparu (sauf erreur de ma part, je ne lis pas toute la presse). Pourrait-on encore publier comme Balzac, Dickens, Eugène Sue, des passages de roman « au compte goutte » pour piquer l’intérêt du lecteur ?
Que ce soit par le biais de la presse écrite, ou par l’entremise des réseaux sociaux. Plutôt que de fustiger le temps passé en ligne, déployons sur ces plateformes des contenus qui pourraient amener vers la lecture.
Je ne peux, sur ce sujet, que remettre à l’honneur la nouvelle, genre que j’adore et qui reste méprisé en France. Pourtant le potentiel me semble énorme : un format court, captivant, adapté aux déplacements et aux temps de lecture morcelés.
Elles demeurent malheureusement très peu diffusées et promues.
Pourquoi ne pas ici aussi s’emparer d’autres médias pour les mettre en avant ? On peut aller vers la lecture à partir de petits pas.
👉 Rendre la lecture cool
Deux initiatives récentes à souligner (et sur lesquelles surfer) :
Les vidéos mettant en avant des portes-paroles populaires à l’initiative de Joël Dicker et France TV. Dispositif idéal pour toucher un public en partie éloigné du livre et réjouissant de voir une icône comme Kilian Mbappé lire. 32 personnalités ont participé gracieusement pour cette grande cause nationale, on dirait qu’on va dans le bon sens.
Le bookclub lancé par Maxime Biaggi, un gros influenceur que je ne connaissais pas (j’avoue, je ne suis pas la cible), en début d’année. Le principe : se retrouver en ligne sur Twitch autour d’une lecture commune, plutôt des classiques et que des auteurs à ce stade (Maxime, voyons…). En un peu plus d’un mois, plus de 65 000 utilisateurs ont rejoint le canal Instagram du Biaggi Book Club, ce qui en fait l’un des clubs de lecture en ligne les plus suivis en France. J’avais consacré une newsletter au regain de popularité des bookclubs en janvier 2024 et la trend ne fait que se poursuivre depuis. On est ravi et pourvu que ça dure ! Maxime a su user de son influence pour toucher et attirer des personnes qui ne lisent pas spécialement, et surtout il crée de la conversation autour des livres.

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Ce qui m’emmène tout juste au point suivant…
👉 Créer de la discussion et des rencontres autour des livres
Parlons des livres, partout, tout le temps. Faisons-les entrer dans nos discussions au même titre que la dernière série Netflix debrieffée autour de la machine à café. Partageons tous nos lectures et nos coups de cœur sur les réseaux qui nous aspirent tant de temps. Allons en librairie rencontrer des auteurs, des lecteurs… Créons toujours plus de bookclubs et de discussions sur les livres (d’ailleurs une nouvelle annonce en juin sur ce terrain… restez à l’affut !).
Il est du ressort de chacun d’ouvrir la conversation autour de la lecture pour en faire un sujet et convaincre, au détour d’un coup de cœur, de nouveaux lecteurs.
Au risque de me répéter ce n’est qu’en s’emparant de la question et en en parlant qu’on pourra sauver le monde.
3 livres qui donnent envie de lire sans s’arrêter
🌀 Scarborough, Luc Dagognet
Ce roman est un envoûtement, à l’image de la chanson qui l’a inspirée. Le narrateur enquête sur des phénomènes mystérieux qui refont surface dans sa vie et font écho au livre qu’une vieille tante lui avait offert enfant. Il propose un regard décalé sur l’existence et les passerelles mystiques qui pourraient mener d’un monde à un autre. C’est captivant, drôle, loufoque, MAGIQUE ! Un vrai plaisir de lecture dont le souvenir me marquera.
Découvert dans le cadre du Prix de la librairie l’Instant pour lequel il est toujours en lice.
👊 Arène, Negar Djavadi
Prenez une bande d’adolescents à cran, un homme affolé, filmez le tout et diffusez-le sur les réseaux, laissez agir… Vous obtiendrez le cocktail explosif qu’est Arène. Ma lecture date un peu mais j’avais trouvé les personnages subtils et bien campés. Le style de ce roman est frais, moderne (argotique parfois) et très entrainant.
À en juger par le bandeau, il semblerait qu’Antoine de Caunes aussi ait apprécié.
🇲🇽 American Dirt, Jeanine Cummins
Un récit poignant sur une famille mexicaine contrainte à l’exil, sous la menace d’un puissant cartel. Pour une mère et son fils, les États-Unis deviennent l’horizon de la liberté (on n’est pas en 2025 donc… 🙊) ; on les suit sur cette route de tous les dangers.
Après avoir lu le premier chapitre, on ne peut plus reposer le livre, promis.
(des pages en cuisine) a aussi apprécié le roman mais en souligne le caractère très éprouvant.A noter qu’il a été critiqué aux États-Unis en tant que récit sur une réalité qui n’est pas celle de l’autrice, sans lien avec la culture mexicaine. Il comporterait aussi quelques inexactitudes mais la lumière reste de mon point de vue mise sur une réalité qu’on ignore totalement (pour ma part).
S’il y a des équivalents par des auteur·ices mexicaines, faites-le-moi savoir. 🙏
Quelques autres références dont j’ai déjà parlé
🏢 Le dernier étage du monde, Bruno Markov
🪽 Elle a menti pour les ailes, Francesca Serra
😇 L’empreinte de l’ange, Nancy Huston (depuis lu et approuvé aussi par
)💕 Fantastique histoire d’amour, Sophie Divry
🤥 L’homme aux mille visages, Sonia Kronlund
À dans deux semaines dans vos boites mail.
D’ici là, débranchez davantage les écrans et lisez bien ! 👋
AAAhhh trop contente de voir que tu as réagi à la dernière enquête du CNL car j'étais curieuse d'avoir ton avis (eh oui j'ai pensé à toi en découvrant leurs chiffres !). Je trouve que tes pistes d'actions et de solutions sont hyper intéressantes, notamment sur le fait de valoriser les formats courts comme les nouvelles etc.
Merci pour tout ça. Ça me rappelle une anecdote, à l’époque où j enseignais les littératures de l imaginaire (SFFF) à La Sorbonne Nouvelle. Je ne donnais pas de devoirs pendant les vacances, mais juste une recommandation de lecture (non obligatoire) : “Des fleurs pour Algernon”, de Daniel Keyes.
Je n’oublierai jamais qu’une année une étudiante est venue me voir pour me dire, des étoiles pleins les yeux : “Monsieur, j’ai lu “Des fleurs pour Algernon” pendant les vacances. Et vous aviez raison : on peut lire aussi pour le plaisir.”
Car oui, c’est de cela aussi quil faut parler. Beaucoup découvrent la lecture via l’école, et dans bien des cas, c’est à vous en dégoûter.