Travailler moins pour lire plus
Fatigue, manque de temps, métro-boulot-dodo… Et si finalement la véritable entrave à la lecture n’était pas les écrans mais le travail ?
Bienvenue dans cette 48e édition de Aux livres, etc. 📚
Ici, on se penche davantage sur l’acte de lire que sur celui d’écrire, en se situant du côté des lecteurs et lectrices, avec toutes les deux semaines une thématique liée à la littérature et à la lecture. Retrouve la genèse du projet par ici pour en savoir plus.
Je n’avais pas prévu d’aborder ce sujet aujourd’hui, mais il s’est imposé en début de semaine.
Partout (à l’Assemblée, au CNL, dans des tribunes), on rabâche que les écrans causent la mort de la lecture, surtout chez les plus jeunes.
Mais si le gros éléphant au milieu de la pièce était en fait ce qui nous occupe 7 (à 10…) heures par jour ?
Une récente étude du ministère de la Culture révèle que l’entrée dans la « vie active » éloigne considérablement de la lecture (quand on compare la pratique des 15-18 ans à celle des 19-24 ans).
Et pourtant un livre peut être une échappatoire, une respiration, un sas de décompression dans un quotidien effréné.
Alors, n’est-il pas temps de remplacer le fameux métro-boulot-dodo par un bienvenu Othello-Modiano-dodo ?
Il faut que je sois honnête d’emblée : les 3/4 de l’année, ce problème ne me concerne pas.
Je suis travailleuse indépendante, à mon compte depuis 11 ans, et je gère mon emploi du temps et ma charge de travail (plus ou moins) comme je l’entends. Je m’accorde souvent des pauses lecture dans ma journée, je veille à avoir des plages de temps libre et des sas de décompression.
Quand je suis mobilisée sur des missions plus intenses (en présentiel 10 heures par jour…), c’est une autre affaire et je me rends bien compte que mon rythme de lecture vacille complètement (heureusement c’est toujours ponctuel). Fatigue, surmenage, cerveau à plat… Je rentre et je m’affale devant un film réconfortant.
Même plus la force de lire trois lignes ; eh oui, la lecture reste un loisir actif, qui demande un minimum de concentration et d’énergie. Et ouvrir un roman « creux » pour se laver la tête est moins admis socialement que de regarder pour la huitième fois un film de Noël pour se détendre (on est en février, c’est encore l’hiver, ne me jugez pas !).
Il est évidemment plus simple de trouver le salut dans les écrans mais au risque d’un appauvrissement de notre vie culturelle, alors même que l’on aimerait, dans l’idéal, lire davantage.
C’est de cet idéal dont je voulais parler aujourd’hui !

Le temps, une denrée rare
On le perd, on le gagne, on l’optimise… Le temps s’est transformé en donnée à maximiser, pour être toujours plus productifs. Il faut être booké (malheureusement, on ne parle pas de livres ici) pour être accompli, remplir les cases de l’agenda, les soirées, les déjeuners, chaque minute… On en oublie que le temps est la seule ressource que l’on a réellement et qu’en disposer comme on l’entend est devenu un luxe.
« On ne peut pas s’émerveiller quand on est obnubilé par sa to-do list… »
La philosophe Marie Robert nous rappelle dans cette vidéo que le temps est un enjeu politique.
Et quand un tiers de notre journée est alloué au travail (la moitié si l’on ne considère que le temps éveillé), nos loisirs sont réduits à une portion limitée de nos existences. Il faut alors faire des choix. Celui par défaut (que l’on fait souvent) est de « tuer » ce fameux temps en scrollant sur nos téléphones. Pourquoi pas, tant que ce choix est éclairé (et que l’on n’est pas retenu en otage pour un algorithme).
La fatigue, induite par des heures d’aliénation de concentration, un réveil matinal, une tâche lourde ou répétitive… vient renforcer ce mécanisme d’abrutissement, de temps perdu, derrière un écran.
Que veut dire lire dans ce contexte ? N’est-ce pas s’offrir une parenthèse dans un monde qui va trop vite ? Un acte de résistance contre la frénésie du quotidien ?
Une manière de ralentir et de se recentrer, assurément.
Comment faire fi de ces obstacles pour concilier lecture et vie active ?
L’idéal serait bien sûr que le temps de travail soit revu à la baisse, les emplois mieux répartis, les tâches pénibles allouées aux machines… Ainsi plus de problème de temps ni de fatigue ! (Julia, présidente ?) Mais avant qu’on ne se libère des rouages du capitalisme, trouvons de nouvelles voies vers la lecture et explorons quelques solutions pratiques, applicables dès aujourd’hui !
Piste numéro 1 (indispensable et non négociable) : avoir envie.
Il est toujours bon de rappeler qu’il n’y a aucune obligation de lire. Qu’on ne veuille pas lire et qu’on ne le fasse pas reste un mode de vie entendable. Je m’adresse à toutes celles et ceux qui aimeraient lire davantage et manquent de temps, de moyens, de motivation pour le faire… Aucune injonction donc !
« Dès qu’on se pose la question du temps de lire, c’est que l’envie n’y est pas. Car, à y regarder de près, personne n’a jamais le temps de lire. Ni les petits, ni les ados, ni les grands. La vie est une entrave perpétuelle à la lecture. »
Daniel Pennac, Comme un roman (1992)
Si tu n’as pas envie de lire, pas du tout, jamais, et que ça ne t’apporte rien, utilise ton temps comme bon te semble. 👋
Et si tu n’as simplement pas envie de lire le livre que tu as commencé, c’est en général un signal intéressant : passe à autre chose.
Piste numéro 2 : du calme.
L’envie est là, il s’agit donc de lire maintenant. Mais mollo… Un des pièges serait d’entrer dans une logique productiviste avec la lecture comme on le fait avec les activités professionnelles. La pression sociale liée à la productivité s’invite jusque dans nos piles à lire. Mais qu’importe de finir 2, 20 ou 100 livres par an, ce qui compte est la qualité de ce qu’ils nous auront apporté. Il serait dangereux (contreproductif, allais-je dire) de s’astreindre à lire 20 pages par jour, un livre par semaine… si c’est un calvaire qui ne procure aucune joie (voir le point précédent).
Pas de pression, on se détend, et on cherche avant tout le plaisir !
Piste numéro 3 : créer des rituels.
Mon crédo pendant longtemps a été de lire au réveil. Voilà, c’est fait, tu sais déjà que ta journée ne sera pas perdue pour la cause.
La fin de soirée peut aussi être un moment approprié : on n’a plus rien à faire, on coupe tout, on peut lire peinard. Encore faut-il ne pas être trop fatigué·e (même si certains ouvrages se lisent très bien sans être très éveillés mais c’est une autre histoire).
Le plus simple serait de traquer les moments creux, tous ceux que l’on perd habituellement sur nos téléphones pour tuer le temps. Métro, pause, attente entre deux rendez-vous, on peut faire de la place à la lecture, ne serait-ce que pour dix minutes. (Je te donne d’ailleurs rendez-vous le 11 mars pour lire un quart d’heure ; on en reparlera, mais tu peux déjà noter cette date si tu es à Paris ! 🙃)
L’idée est d’ancrer la lecture dans sa routine, quel que soit ton rythme, quel que soit le moment approprié pour toi. Savoir que l’on a des temps de lecture prévus ou potentiels, c’est déjà un pas en avant.
Et cela implique d’avoir toujours un livre à portée de main, comme on le fait avec son téléphone, ce n’est pas si difficile ! 😉
Piste numéro 4 : choisir des formats adaptés.
J’ai partagé récemment sur Instagram mon approche quand je suis dans des périodes chargées. J’alterne alors entre plusieurs livres, qui me permettent d’adapter ma lecture au temps que j’ai devant moi.
Je choisis en général un roman et un format plus court, poésie ou nouvelles (je remets les liens de ces éditions parmi les toutes premières).
Si tu ne peux lire que 5 minutes dans le métro en ce moment, fonce découvrir David Thomas.
Si tu as un voyage de 3h en vue, pioche un bon roman.
D’ailleurs, cet outil peut t’être utile pour évaluer le temps de lecture d’un roman et le choisir en fonction.
Pense aussi au livre audio pour les déplacements en voiture ou lorsque tu es plus fatigué·e.
Mélanie Lacroix, blogueuse et grande lectrice, me confiait dans la newsletter à ce sujet qu’elle enchaine souvent livre audio et livre papier sur son trajet quotidien qui implique beaucoup de marche.
Mon conjoint utilise aussi cette technique à vélo, mais je te conseille alors de le faire sans écouteurs pour éviter les amendes (et allécher les oreilles des autres cyclistes au passage).
Piste numéro 5 : rester vigilants face aux écrans.
Bien sûr, c’est tentant ! Ils sont là au bout de nos doigts, toujours prêts à nous divertir, nous titiller, nous énerver, nous offrir un nouvel objet d’adoration ou de révolte… Ils sont pratiques, indispensables, bienvenus. Mais point trop n’en faut.
Je ne vais pas refaire l’article des bienfaits de la déconnexion, il me semble que tout le monde est déjà bien au courant ; mais si besoin, on en parlait dans ce numéro, avec quelques conseils pour réduire les tentations.
Piste bonus : et si le livre se faisait une place au boulot ?
Bookclub, coin bibliothèque, rencontre ou conférence avec des auteur·es, la lecture a plus d’une manière d’infiltrer les entreprises. Elle permettrait même de créer du lien, de la cohésion, de l’empathie, d’ouvrir des nouveaux horizons…
Si c’est une pratique que tu as déjà connue dans ta vie professionnelle, prends deux minutes (top chrono ⏱️) pour m’en parler stp.
Si c’est une idée qui te tente, contacte-moi pour en discuter.
Avant qu’on ne s’affranchisse du dogme du travail, lire plus est une affaire d’envie, de priorités et de petits ajustements.
Alors, pourquoi ne pas commencer tout de suite, là, maintenant ? Attrape ce livre qui t’attend dans ton sac ou sur ta table de nuit, et offre-toi ce plaisir, ce luxe, cette parenthèse littéraire. Parce que chaque page tournée est une victoire sur le temps.
Et si on ne travaillait que trois heures par jour ?
Alléchant programme pour se dédier à la lecture, non ?
C’est celui que propose Émilien Long, prix Nobel français d’économie, dans Le Droit à la paresse au XXIe siècle. L’idée commence à faire son chemin dans le débat public français. Moquée par les uns, portée aux nues par les autres, elle suscite colère, indignation ou envie. Et si un autre monde était possible ? L’enjeu est simple : changer de modèle de société, sortir d’un productivisme morbide pour redécouvrir le bonheur de vivre.
Et si Émilien Long se présentait aux prochaines élections présidentielles ?
C’est là toute l’intrigue de Paresse pour tous, roman espiègle d’Hadrien Klent (éditions Le Tripode).
Pleine d’humour, d’érudition et de clins d’œil taquins à nos modes de vie, cette utopie est à mettre entre toutes les mains pour réfléchir à notre usage du temps… et vivre un bon moment de lecture qui demandera à peu près 6h. Trouve-lui une petite place dans ton agenda.
Pour en apprendre plus sur l’auteur et sa démarche,
a interviewé Hadrien Klent par ici.Enfin, une annonce pour les auteurs et autrices qui me lisent.
Le temps, la disponibilité est aussi un enjeu crucial pour venir à bout d’un projet littéraire. Françoise Pélissier, lectrice de cette newsletter et accompagnatrice d’auteurs, propose des résidences d’écriture pour avancer sur l’écriture de son récit.
Le prochain événement se tiendra du 22 février au 2 mars à Fouras (Charente-Maritime), dans une vaste demeure donnant directement sur la plage.
Cette résidence garantit un lieu paisible, un cadre propice à l’inspiration et à la créativité et l’accompagnement individuel sur mesure de Françoise.
Rendez-vous ici pour plus d’informations : les résidences d’écriture de Françoise Pélissier.
Tu peux aussi la contacter directement pour obtenir plus d’informations.
Je vous souhaite à toutes et tous de dérober de nombreuses heures pour la lecture !
À dans deux semaines pour un prochain rendez-vous littéraire. 👋
Lire plus et plus encore ! Je vote aussi pour cette candidature. Dans le secondaire (et le primaire), il y a parfois des quarts d’heure de lecture institués. Une bonne solution, me paraît-il, à établir en entreprise et dans sa vie de tous les jours.
En ce moment, je bénis l'existence du livre audio... Nouveau boulot, beaucoup de déplacements, semaines très chargées le temps d'apprendre tout ce qu'il y a à savoir... C'est simple, sans les livres audio je n'aurais pas le temps de lire (team mal des transports donc je ne peux pas lire dans le train ou l'avion). Depuis 2016, je pense que ça m'a permis de doubler mon nombre de livres lus sur l'année (j'en écoute au moins un par semaine). Du coup je ne vois plus les corvées (ménage, rangements, autres) du même oeil vu que j'en profite pour avancer mes lectures 😂